mercredi 27 août 2008

Intermédiaire VI

Auguste était un simple fantassin du 11e régiment d'infanterie légère, stationné à Angers. Il en était fier ; il s'enorgueillissait d'autant plus qu'il servait pour la jeune IIe République, et la République, comme lui avait appris son père, venait des termes latins res et publica : la chose publique. Son devoir était de protéger la République française, donc de protéger tous les Français. Son cœur débordait d'une joie zélée et patriotique.

Sur l'homme placé à la tête du pays, son père était bien plus circonspect. Celui-ci avait confié à son fils qu'il avait l'étrange et redoutable pressentiment que la tentation impériale à terme deviendrait par trop irrésistible. Auguste connaissait l'histoire de Napoléon Ier, et plus d'un tiers de siècle après Waterloo, n'en gardait que les hauts faits d'arme de l'Aigle corse et ses images de gloire ; la France qui faisait le jeu du monde ; à propos de Louis-Napoléon, il ne savait sur quel pied danser, pour dire les choses clairement. Comment en effet se satisfaire d'un Bonaparte tenant les rênes d'une République, de nos jours ?

« Laissons les choses continuer telles qu'elles se présentent maintenant, en restant vigilants, néanmoins. » Son père parlait toujours sagement, à ses yeux.

C'est pourquoi Auguste, devisant sur la figure de la République avec un ami du régiment, se sentait, juvénil qu'il était, chauvin sûrement, porté par un enthousiasme gonflé au moyen d'encouragements qu'il s'imaginait. Le régiment était appelé en revue, et traversait alors la ville.

Auguste, dans le feu de sa discussion, ne prêtait guère attention à la pluie et aux bourrasques violentes de la tempête. Entouré de camarades, il vit d'un œil distrait qu'il empruntait le pont de la Basse-Chaîne surplombant la Maine.

- Vivement qu'on rentre, je suis déjà trempé ! fit quelqu'un derrière lui.

- Considère que c'est un honneur d'être trempé dans l'uniforme que tu portes, rétorqua, amusé mais sérieux, Auguste. Qu'est-ce que ça remue, ici ! ajouta-t-il, lorsqu'il nota une ondulation répétée et prononcée de la passerelle.

A cet instant, les câbles de suspension cédèrent, et dans sa chute, Auguste n'eut pas le temps de hurler quand une baïonnette le transperça.


N.B. : le pont de la Basse-Chaîne est aujourd'hui disparu, suite justement à cette tragédie survenue le 16 avril 1850.

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