vendredi 28 novembre 2008

Intermédiaire XXXIII

Il fut construit aux abords de la ville de Pluguffan, à l'ombre conjointe d'un chêne et d'un châtaignier immenses, au temps d'avant le sentier pédestre.

J'avais onze ans ; mon frère Simon, neuf. Le « Royaume », le nom du territoire décrété au sein de notre bande de copains, s'étendait loin en amont et en aval d'un ruisseau anonyme ; sa capitale, son épicentre : les deux majestueux arbres d'essence différente ; sa Grotte des Chevaliers, obscure, pleine de dragons fumants ; à l'est, le Moulin, sorte de cuve d'eau naturelle, lieu cynégétique en grenouilles et petites truites ; plus au sud-est, la Plaine aux Fougères, champ de bataille limitrophe avec les pouilleux de Vorc'h Laë, éternel lieu de cache-cache les autres jours. Nous acceptâmes la mort dans l'âme une invasion barbare féminine (certes concitoyennes de Goarem Creis (1), mais des filles), dont les sujets s'installèrent brièvement à proximité, au cœur d'un chêne touffu et à la canopée rabotée.

Dans ce contexte de rivalité médiévale inter-quartiers, Goarem Creis se devait d'avoir une longueur d'avance. Pour démontrer notre savoir-faire technologique, une idée germa un après-midi estival, au chant d'un merle, alors que nous contemplions une grande fosse creusée par l'Histoire et le cours d'eau.
- Pourquoi pas en faire un bassin ?

L'eau cherchait à s'esquiver par une ouverture large d'un mètre ; nous n'osions pas nous aventurer plus loin dans la fosse : au sortir de celle-ci, le granit désagrégé en poussière de mica et de quartz offrait une stabilité à nos pieds, à l'abri relatif dans des bottes, que la vase nauséabonde et traîtresse d'au-delà ne pouvait procurer.

Mon frère prenait ce chantier très au sérieux ; il était celui qui s'en occupait le plus, devant un ami, Fanch, et moi. Nous dégageâmes au sécateur et à la bêche ronces, fougères et autres végétaux nuisibles aux fondations. Les outils d'excavation ensuite, pioches et pelles attaquèrent les parois terreuses habitées de lombrics. Nous travaillâmes même un jour qu'il pleuvait froidement des hallebardes ; trempés, l'œuvre prenant forme, nous ne pouvions que nous acharner. Nous faisions au mieux pour rester propres ; bien plus d'une fois, nos bottes se remplirent d'une humeur boueuse. A mains nues, nous posâmes les roches édificatrices ; à mains nues, nous bouchâmes les fuites coquines ; égratignées, gonflées, gelées, mais heureuses. Le dimanche était particulier : après une journée harassante et le regard résigné de ma mère sur nos vêtements, Simon et moi avions droit à notre traditionnel repas de crêpes ; une odeur à se pâmer contrastant avec les gaz marécageux.

Nous eûmes la visite une fois du fermier voisin (diplomatiquement neutre avec le Royaume, mais nous n'hésitions pas à batifoler dans son énorme grange aux bottes de foin piquant).
- Demat, yaouankiz ! (2) fit-il, en débouchant brusquement d'un hallier, de sa douce voix contredisant son dos voûté et son visage bruni.
- Bonjour, M'sieur Tymor ! répondit-on, sans trop comprendre ce qu'il nous avait dit.
- Alors, qu'est-ce qu'on fabrique de beau ?
- Un barrage ! lui lança-t-on, un sourire éloquent aux lèvres.
Il resta discuter quelques instants en notre compagnie, et devant le labeur déployé, s'en alla, silencieux, respectueux des travailleurs.

Pour sûr l'avancée des travaux ne se fit pas sans heurts ; crispations, énervements apportèrent leurs réunions conciliatoires sur les poursuites du monument, et plusieurs essais (conclus inévitablement par une inondation) aboutirent au tassement de l'ouvrage. Nous pouvions désormais traverser au sec, tandis que le niveau de l'eau montait progressivement, à l'instar de la popularité de l'édifice, qui dépassa promptement nos frontières.

Nous pûmes nous y baigner avant l'envahissement inéluctable par les lentilles d'eau et autres élodées, accompagnant la chute des chatons. Une corde pour se balancer d'un saule roux, un radeau moins stable qu'un monocycle, tout fut fait pour profiter de cette soudaine étendue d'eau.

Le barrage de mon frère, y ayant placé sa volonté, consacra notre été, sous le bruissement bienveillant du couple d'arbres.


1 : littéralement
« la garenne du milieu » ou « la terre du milieu »... Ça ne s'invente pas.
2 : Salut, la jeunesse !

mercredi 26 novembre 2008

Intermédiaire XXXII

« La loi, dans un grand souci d'égalité, interdit aux riches comme aux pauvres de coucher sous les ponts, de mendier dans la rue et de voler du pain. »

La phrase s'étalait en grandes lettres bleues sur fond gris, badigeonnées de toute évidence à l'aide d'un pinceau large, conclue par le nom de son auteur : ANATOLE FRANCE. Le mur suintant et carrelé n'avait pas vraiment entamé la sentence ; soit elle était relativement récente, soit la peinture se cramponnait admirablement.

La réclame stérile surplombait un amas de planches, de bâches et de cartons, le tout plus ou moins ligaturé ; on notait une certaine méticulosité à l'ouvrage ; on devait y prendre soin en dépit des environs répugnants : le fleuve humide et charriant des alluvions urbains ; le tablier du pont, sombre et habité ; le ronflement incessant du trafic autoroutier.

Un homme sortit debout de la masure, ou, plus poétiquement, se détacha de l'ensemble. Vêtu vraisemblablement de ce qu'il avait trouvé et/ou gardé, il s'éloigna en s'étirant, suivi à quelques pas d'un chat au pelage mi-long et noir et blanc. « Le Chat », comme l'appelait son maître (si tant est qu'un chat ait un maître), ne le quittait que rarement.

Le clochard déambula dans la ville toute la journée, le chat près des pieds, l'estomac au niveau des talons, évitant les rues trop bondées ; les gens avaient tendance à flairer une odeur, à ses côtés, et s'écartaient en fronçant le nez, malgré sa volonté d'entretenir une hygiène raisonnable. Le plus lourd sacrifice consenti fut la perte de ses cheveux longs ; dehors, la vermine est impitoyable. Il ne se risquait à la mendicité qu'en cas de carence grave, et cette époque n'était pas encore, heureusement, advenue. Il connaissait un employé travaillant au supermarché tout proche, amitié relique d'un passé englouti. Approvisionné en denrées à la frontière de la péremption, il partagea un bout de son repas avec le Chat, animal de compagnie qui s'exprimait peu.

Son vagabondage l'entraîna ensuite à proximité d'un restaurant d'alimentation rapide. Il éprouva de la peine pour les pinsons gras, les plumes ébouriffées et ternes, malades d'avoir picoré à longueur de temps des frites froides et les sauces grasses. Le Chat marqua sa désapprobation en snobant cette volaille, indigne de son rang de prédateur.

Et tous les soirs, il rejoignait quelques familles regroupées au cœur d'une ruelle entre deux immeubles, et sous les lumières de lampadaires d'une cour adjacente, se livrait à une séance de narration d'histoires pour les enfants. Il n'était pas rare qu'un parent s'appuie sur un mur et se mette à l'écouter ; le Chat s'allongeait à l'écart, indifférent, les yeux mi-clos.

- Oh ! Mais je vois que nous avons un petit nouveau ! dit-il d'une voix claire qui contredisait son apparence. Comment t'appelles-tu ?
- Loïc, répondit timidement, en articulant les syllabes, le garçonnet.
- Les autres, pouvez-vous dire à Loïc quelle histoire nous avons terminée hier soir ?
- L'Odyssééée ! clama en un chœur indistinct le jeune public.
- Et qui a inventé cette histoire ?
- Homèèère !
- L'un d'entre vous peut-il me raconter ce qu'il a retenu ? En gros. Vas-y, Rachida, nous t'écoutons.
- Eh bien, commença la gamine en se levant, y a Ulysse qui fait un long voyage pour revoir sa femme, Pelote...
- Pénélope, rattrapa un garçon assis à côté d'elle.
- Mais, je sais-euh !... Et alors il rencontre pleins de monstres, un cyclope qui a qu'un œil, il est aussi presque transformé en cochon pour être mangé, et quand il rentre chez lui, il se déguise en pauvre, et là, y a son chien très vieux qui le reconnaît avant de mourir, et c'est comme ça qu'il revient sur le trône de Grèce, et qu'il revoit sa femme et son fils.
- C'est très bien. D'accord. Chuchuchut ! Si vous voulez parler de L'Odyssée entre vous, faites-le après, sinon je m'en vais !
Les gamins se chamaillèrent un instant à coup de « Vas-y, tais-toi ! », puis se calmèrent. Sûr d'accaparer l'attention générale, le clochard amorça :
- Ce soir, je vais commencer une histoire qui a pour titre Les Misérables, une très belle histoire qui fut écrite par un homme qui s'appelait Victor Hugo. Cette histoire a eu lieu il y a très longtemps.
Il fit une pause oratoire.
- Un homme marche sur un chemin plein de cailloux. La nuit tombe, le vent souffle et il n'a pas d'abri pour dormir, même pas une niche pour se coucher. Son nom est Jean Valjean ; répétez après moi : Jean, Valjean.

samedi 22 novembre 2008

Intermédiaire XXXI

- C'est vraiment le bout du monde. La mer, rien que la mer, à des centaines de kilomètres à la ronde, s'extasia la femme.
Le couple chevauchait au pas sur le bord de la route méridionale de l'Île de Pâques ; ils approchaient du site de Hanga Te'e. Le bout de terre perdu dans le Pacifique était impitoyablement battu par des vents violents, hiver comme été, et ne les épargnaient d'aucune manière.
- C'est quand même un peu désert, il n'y a pas d'arbre... concéda-t-elle.
- Je t'avais prévenue. Encore une désertification à mettre au crédit de l'Homme, fit, maussade, son compagnon.
- Toi, depuis ce matin, je te sens bougon. Soit tu couves quelque chose, soit tu as une réflexion que tu rumines.
- Je réfléchissais au fait que la déforestation de l'île n'est dû, encore une fois, qu'à la volonté d'un culte religieux, emmenant la population indigène à une mort certaine.
La femme, la trentaine entamée, observa intensément son partenaire, non gênée par le pas du hongre qu'elle montait. En écartant les cheveux qui revenaient sans cesse devant ses yeux, elle dit :
- Non, chéri, je te connais assez pour savoir que ce n'est pas ce qui te préoccupe réellement.
Il lui jeta un coup d'œil et un sourire en coin ; le Cerro Terevaka veillait sur eux, en arrière-plan.
- On ne peut rien te cacher, chérie.
A l'horizon apparut un moaï, qui pointait son regard enfoncé dans la pierre vers l'intérieur des terres. L'homme tira sur les rênes, et obligea sa compagne à faire de même ; ils s'arrêtèrent au pied de la sculpture.
- Tu savais que leurs yeux étaient en cartilage de requin ?
- Je le sais, oui. Vas-tu me dire ce qui te tracasses ?
- Ceci. » Il sortit un billet de 100 Euro. « L'argent, encore l'argent, toujours l'argent. » Elle ne répondit pas. « Encore plus puissant qu'une religion, encore plus dévastateur pour l'humanité. » Il n'entendit que les sabots martelant épisodiquement le sol, et le vent qui rugissait. « L'ultime artifice. Mais ça (il désigna sur le billet le pont au tracé baroque), ça, ça dépasse l'entendement. C'est du cynisme pur, une défaite du monde libre.
- Ne soit pas si lyrique, soupira-t-elle.
- Mais enfin, dessiner un pont, un symbole qui rassemble, sur un billet de banque, l'élément qui divise, qui embobine par excellence, n'est-ce pas de l'hypocrisie ? N'est-ce pas se moquer de notre poire ? Alors voici ce que je vais faire », s'écria-t-il, ferme, sans laisser de temps de réponse.
Tandis qu'il pliait le billet, il ajouta :
- Une fois, j'ai lu dans un journal satirique (défini satirique par qui, à ce propos ?) que des Russes s'amusaient en soirée à brûler des billets de 500, et que leurs domestiques avaient ensuite ordre de ramasser les cendres. Ces « riches » sont des inconscients, en plus d'être punissables par la justice, alors que moi, je sais ce qu'est l'argent : le lien artificiel d'asservissement. Voilà.
Il s'orienta face à la mer.
- Un billet de cent.
Et il jeta l'avion en papier.

vendredi 21 novembre 2008

Bêta lunaire

Un prétentieux hurluberlu bêtifiait de manière irrésistible et sensuelle en écrivant des textes en parfaite plénitude. Il était efficient bien qu'éructant du cérumen néphrétique par les oreilles.
Un homme, qu'il ulcérait rugueusement et sempiternellement, vint à son hébergement et lui fit avaler du mercure mortifère. L'hurluberlu méritait son sort funeste et rejoignit les champs céruléens ou sélènes, c'est selon...

(Petit texte sans prétention aucune)

jeudi 20 novembre 2008

Hors-série ~ Une aventure de la Grumch et Pitchoun

Avant de courir le semi-marathon chaque soir avec Daisy, la Grumch* eut d'autres animaux domestiques sous sa gouverne.

Hier, la torture en plein air.
Pitchoun, beau chien affectueux au poil long blanc et caramel, de taille moyenne, issu d'un cocktail canin étrange, longe le trottoir d'en face de la résidence de sa maîtresse, qu'il vient de sortir, et furète une allée de garage proche, quand soudain :
« Kaï !! »
Le pauvre, de sa truffe humide, vient de recevoir une châtaigne mémorable, car un fil électrique posé à même le sol marque l'allée. La Grumch, outrée, flairant une mise en danger d'autrui et des chiens renifleurs, interpelle Mme C. sur l'illégalité d'un tel dispositif d'intimidation de violation de propriété.
« Vous gardez quoi dans votre enclos ? Des vaches, peut-être ? Ou c'est juste votre famille ? »
Si elle ne l'a pas dit, elle l'a pensé très fort. La bonne femme a compris le message.
Une semaine plus tard, la Grumch se voit houspiller par M. C., le mari, le véritable fautif, étalant sa mauvaise foi :
« Dites donc ! J'ai reçu une lettre de la mairie ! Qu'est-ce que c'est que ces manières ? Vous auriez mieux fait de m'en parler ! Et je vous interdis de venir fureter chez moi et de me balancer ! »
Pour un peu, on la traitait de collabo !
« Primo, j'ai fait part à votre femme de la dangerosité d'avoir un fil électrique posé sur le trottoir. Vous êtes encore son mari, non ? Elle n'a pas encore quitté la maison, non ? Secundo, je parle d'abord avec les gens concernés s'il y a un problème, ensuite je vais plus haut si ça dure trop. Capish ? Alors je vous interdis de m'accuser à tort, car je n'ai rien fait ! Non mais ! »
Le malotru se détourne en bougonnant.
La Grumch saura plus tard qu'il s'agissait de sa voisine de gauche qui, ayant vu la scène du toutou foudroyé, s'était tout de go précipité à la mairie. Voyant que l'on s'occupait de ses affaires sans son consentement, la Grumch bouillit intérieurement, en lâchant de temps à autre des mots incongrus à voix haute.


* doublait Clint Eastwood dans L'Inspecteur Harry

mercredi 19 novembre 2008

Intermédiaire XXX

« Journal de bord d'Eirik Raud, cent dix-septième jour de vol au sein du Simha Ier, an 4213 après l'Épopée de Gilgamesh.
À 9 heures standard j'ai reçu une invitation du commandant Viktor qui m'enjoignait à venir sur le pont du vaisseau. Ce devait être important puisqu'au moment où la porte de l'ascenseur gravitationnel s'ouvrit, un vacarme assourdissant m'accueillit, avant que je ne repère dans la foule Selenaïs et Agamemnon...
Tant que j'y suis, note : dîner en tête-à-tête demain 18 heures standard avec Selenaïs.
Je salue mes compagnons ; le commandant m'apercevant de loin et me saluant de la tête se décide à élever la voix pour demander l'attention de son auditoire. Suit un court blabla, jusqu'à ce qu'il dévoile l'objet du rendez-vous : l'image de notre future planète dans une résolution à couper le souffle. Des cris et des larmes légitimes surgirent parmi les invités ; Selenaïs m'a même instinctivement agrippé le bras. Ce que nous avions devant les yeux... Un rêve. Notre planète, Sippar.
Minutieusement sélectionnée entre d'innombrables concurrentes à la colonisation, c'est sa lune, Shamash, qui l'avait sortie du lot, miroir de notre Terre-mère. Celle qui apparaissait sur l'écran était incommensurablement plus belle que tout ce que j'avais pu imaginer. Ces teintes si prometteuses... et cette damnée étoile qui nous en avait caché la vue, à la sortie du dernier tunnel espace-temps ; maintenant que Sippar nous tendait les bras, l'excitation avait grimpé de plusieurs crans. Je saurai imposer, ce soir, mon sujet de discussion à mes collègues terraformateurs des autres missions, cher journal, et ce n'est pas pour me déplaire !
On passera à du concret, nous, deuxième génération ; nous n'en sortirons pas moins glorieusement que la première, bien au contraire. Je l'affirme. La biodiversité extraterrestre déjà sur place sera à intégrer à la complexe équation, paramètre qui n'existait pas sur Vénus, ou plus du tout sur Mars et sur Europe. Je sens l'adrénaline monter en moi par vagues, et ce vertige m'opacifie la manière de commencer à m'y plancher sérieusement ; j'ai l'impression de me retrouver face à un buffet monstrueux dont les plats disposés sont plus délicieux les uns que les autres, ne pouvant y goûter que superficiellement chacun son tour...
Mais que suis-je en train de dire ?
Je sais pertinemment que mon travail ne me rassasiera jamais, d'autant que la responsabilité qui est la mienne est un poids immense ; je détiens le pouvoir de survie d'innombrables futurs Sippariens ! Un pouvoir que nul autre n'obtiendra plus ! J'ai la chance unique de permettre la perpétuation de l'humanité...
J'en ai les larmes aux yeux, en l'exprimant tout haut. Cette émotion est plus intense encore du fait de la concrétisation de la beauté stellaire de ce matin...
J'attends impatiemment d'y poser les pieds, et ce serait un gâchis que d'oser anticiper un tel instant. »

samedi 15 novembre 2008

Intermédiaire XXIX

« Gracias.
- Bueno viaje, señor. »
Il est 6 h 45, une journée d'hiver de la fin août 1972. Le guichetier de la gare a remarqué le léger accent brésilien derrière le remerciement espagnol, et lui a souhaité bon vent, affable. L'homme à qui il vient de vendre un billet pour el Tren a las Nubes est vêtu d'un pardessus sombre, des habits qu'il devine tout aussi sombres, une mallette tenue par la main gauche, et un chapeau italien, la même conception chapelière que dans ce film qu'il a vu vu récemment... Il a le titre sur le bout de la langue... Le Parrain, c'est ça. Un sacré bon film.
L'homme en question monte dans un wagon, ouvre la porte de la cabine, observe les rangs de fauteuil vides, semble se décrisper légèrement puis choisit de se poser directement sur la première rangée à droite, à côté de la fenêtre. Il pousse un long et discret soupir une fois confortablement installé ; pas fâché de quitter Ciudad de Salta et la planque insalubre, aux murs suintant les jours de pluie d'été.
Un homme portant des bagages entre et va se poser à l'autre extrémité du compartiment, à gauche ; il scrute l'extérieur un instant par la fenêtre, puis ouvre El Tribuno du jour. Une minute plus tard, deux enfants gazouillants précédés de leur mère s'assoient au milieu du wagon.
Après qu'un coup de sifflet eut retenti, la locomotive s'ébranle et le voyage commence. Ciudad de Salta défile, ses baraques bien alignées, ses rues bondées aux gens désœuvrés ; on s'éloigne un temps dans la plaine afin de rallier différentes gares, puis l'on se dirige au cœur de la Cordillère des Andes. Les paysages sont secs, poussiéreux, parsemés de touffes de graminées, de buissons calcinés par le gel et le soleil, de cactus plus acérés les uns que les autres. Pour un train qui est réputé pourfendre les nuages, c'est l'essentiel même qui manque aux rivages célestes ; les crocs rocheux des horizons tourmentés des Andes devaient avoir un petit creux.
Les heures fuient, ainsi que les petites gares, et les tunnels, et les zigzags ; les enfants se sont lassés des paysages désolés ; ils se sont amusés à voir un groupe de condors qui tourbillonnaient dans une encoignure du ciel avant de descendre à terre : leur enthousiasme fut vite douché par la mère qui leur expliqua l'utilité des charognards ; l'homme du fond était toujours plongé dans une lecture, cependant il avait troqué son journal pour un livre à la première de couverture marron, selon ce qu'avait perçu du coin de l'œil l'homme au borsalino. Ce dernier regarda franchement l'individu du fond lorsqu'un bruit de sachet froissé se fit entendre, mais ce n'était qu'un sandwich que l'autre mordit avec appétit. Son ventre gargouilla de dépit en même temps que le soroche se manifesta en lui ; il se sentit rudement nauséeux. Un des enfants se plaignit ; cela convainquit l'homme au chapeau : il se leva et sortit prendre l'air.
Le mal s'atténue quelque peu. La porte s'ouvre et l'homme au livre lâche un jet de bol alimentaire dans la nature. Il maudit le soroche tandis qu'il s'essuie la bouche de son mouchoir. Un brin gêné de s'être ainsi comporté en public, il s'excuse auprès de l'homme au chapeau, qui lui pardonne volontiers d'autant qu'il souffre du même mal.
Le silence du rail s'impose, l'air frais vivifiant les deux hommes. L'un d'eux désigne un ruban de métal suspendu qu'il dénomme viaduc de La Polverilla, preuve que l'on s'approchait du terminus.
L'homme au chapeau ressent soudain une piqûre douloureuse à l'endroit de sa cheville droite ; lâchant un petit cri, il relève des yeux surpris sur son copassager qui tient en main un parapluie.
« Um guarda-chuva ?
- MR-8 ? » susurre l'autre, qui lut la désagrégation du masque sur le visage de sa victime.
La ricine provoque un choc anaphylactique, et l'homme au parapluie aide l'autre à passer par-dessus bord, pendant que le train s'engage sur le viaduc. Les autres passagers, soient tout absorbés par la vue splendide, soient s'en contrefichant, ne verraient au pire qu'un panache de poussière accompagnant un éboulis.
« Até à próxima. »

mercredi 12 novembre 2008

Intermédiaire XXVIII

Le vicomte Halifax avait supplanté Winston Churchill au poste de Premier ministre, et c'est à partir de cette passation de pouvoir que tout avait basculé, pensait Frederik Herbert, pilote d'un Spitfire désormais reposant au fond de la baie de Cardigan.
Oui, son Spitfire s'était abîmé en mer pour une raison qu'il ignorait ; l'escadron n'avait pas encore l'ennemi en vue ! « Si même nos appareils défaillent avant de combattre... » Herbert en sortit quasiment indemne ; seul, son bras gauche luxé, qui faillit le faire bêtement se noyer. Récupéré à temps par des pêcheurs, on le transférait, tandis qu'il était navigant dans ses réflexions, sur Ynis Gaint, une île située dans le Menai Strait, où un hôpital discret avait été implanté.
A moins que ce ne soit la présidence Lindberg aux États-Unis, en 1936, et son passage à l'allemand en tant que langue officielle unique du pays (l'anglais américain et l'allemand cohabitaient alors officiellement, auparavant), poursuivit-il en tête. Les gens oublient trop vite la répercussion que Lindberg, président étasunien d'alors, et toujours en activité, a opéré en Europe, et au Royaume-Uni ; l'insularité ne signifie pas inconditionnellement isolement. Le traité de paix qui avait découlé de l'unilatéralisme linguistique, entre « civilisations d'origine germanique », avec le IIIe Reich, selon ce qu'il en était ressorti, avait progressivement coupé l'approvisionnement transatlantique, asphyxiant le Royaume-Uni en temps de guerre.
Herbert s'interrogea sur la rumeur de camps de concentration pour communistes aux États-Unis ; avec ce taré de Lindberg, conclut-il, on pouvait s'attendre à bien des horreurs, et d'autres qu'il pariait encore dissimulées.
Cette damnée guerre ; à croire que Dieu Lui-même assistait Hitler dans ses conquêtes. Les Français n'avaient rien pu faire, la Blizkrieg avait été dévastatrice et insolemment victorieuse. L'Opération Felix avait permis la récupération de l'enclave de Gibraltar, rendant plus difficile le lien avec les Indes. Les Russes et les Nazis avaient signé leur traité de non-agression mutuelle, et Hitler eut alors toute permission sur l'Ouest et la Méditerranée. La Luftwaffe avait remporté contre toute attente la Bataille d'Angleterre, et chose incroyable, la création d'une tête de pont au West Sussex. Halifax avait été propulsé Premier ministre ; il se précipita pour gribouiller de sa signature une paix toute relative ; il expulsa illico presto les réfugiés politiques vers l'empire allemand. Le coup de grâce vint avec le défilé triomphal que Hitler effectua à Londres ; capitale à jamais souillée par le fou totalitaire.
La Résistance naquit.
Le Royaume-Uni occupé s'étendait du comté de Bristol à celui de Norfolk. La Résistance avait pris position en zone libre, le Pays de Galles devenant une zone tampon décisive. Entretemps, Churchill s'était exilé en Irlande, à Dublin, d'où il émis son appel du 18 juillet 1941. Herbert avait immédiatement répondu à l'appel, à l'instar de tous ses compagnons pilotes de la RAF.
Les douces mains de l'infirmière réajustèrent l'attelle de Herbert, puis en lui souriant, retourna se rasseoir à la place passager de la camionnette vrombissante. Celle-ci s'engagea sur le causeway reliant Ynis Gaint à Ynis Môn.
Herbert croyait être tombé amoureux de l'infirmière, mais en temps de guerre, pensa-t-il amèrement, on se rattachait à la moindre étincelle d'empathie croisée.

samedi 8 novembre 2008

Intermédiaire XXVII

Chronologie de dépêches PAF*

Moins de 2 millions de km2 pour la forêt amazonienne brésilienne (21/05/202-)

Le président brésilien Bartolomeu das Mortes a annoncé que la surface amazonienne du pays venait de descendre sous la barre des 2 millions de km2, ce qui comparée à la surface originelle correspond à moins de la moitié.

« Ce trésor national et mondial qu'est la forêt amazonienne, ce poumon de la planète, a aujourd'hui une surface moindre, de l'ordre de 2 millions de km2 », a annoncé le chef de l'État brésilien, en marge d'une conférence consacrée aux énergies propres et la pollution des villes.

Cette déclaration fait suite aux vigoureuses attaques que le gouvernement a essuyé de la part de nombreuses associations internationales, telles Greenpeace, la WWF, appuyées en cela par de nombreux prix Nobel de la Paix, dont le Brésilien Ademar Rocha, récompoensé en 201-.


Nouveaux troubles dans l'ouest brésilien (26/06/202-)

Des troubles dans l'État du Mato Grosso, Centre-Ouest brésilien, entre des indiens et des contrebandiers, faisant une vingtaine de blessés, dont deux critiques.

Ces accrochages deviennent de plus en plus fréquents dans cette partie du Brésil, en raison de la menace que représentent les exploitants forestiers et leurs commanditaires, les posseiros (propriétaires terriens, souvent illégaux), aux yeux des autochtones, responsables selon ces derniers de la déforestation massive et illégale qui continue.

« C'est une escalade de la violence à laquelle nous assistons. Bientôt, les tribus indiennes formeront une coalition et pourraient très bien prendre l'offensive, sous forme de guérilla, dans les jours prochains. Il faut éviter à tout prix un bain de sang. Pour cela, et sans délai, il est impératif de cesser toute déformation ; mais je sais que je parle dans le vide... » a déclaré Otávia Mirelles, représentante de Human Rights dans la région.

Depuis le début de l'année, c'est le quinzième incident de la sorte répertoriée par les autorités.


Ademar Rocha s'insurge du mutisme du gouvernement brésilien (06/11/202-)

« Ce n'est pas possible de laisser continuer un tel massacre ! » a déclaré Ademar Rocha, lors d'une conférence donnée à Manaus, capitale de l'État fédéral d'Amazonas, pour la sortie en salles de son documentaire « Toucan pour toucan, dent pour dent ».

« Je me suis rendu au cœur d'une exploitation clandestine, grimé pour que l'on ne me reconnaisse pas, et ce que j'y ai vu et vécu est tout bonnement révoltant ! Des arbres centenaires abattus, laissés sur le bas-côté à pourrir, simplement pour construire une route d'approvisionnement. Une route ! Et l'on s'imagine civilisé ? Fariboles ! »

« J'ai vu un toucan, ce magnifique oiseau, se faire tirer dessus à bout portant, réduit en une bouillie sanguinolente, pour la raison que ses cris empêchaient un ivrogne de cuver son fût de Xingu. Je le dis, je le répète, nous sommes des enfants, qui plus est barbares, détruisant, saccageant, pillant une forêt d'une beauté unique. Parce qu'une fois disparue, elle ne sera plus là. C'est une lapalissade, certes, mais celle-ci vous fera pleurer. »

« Nous mettons à bas une forêt primaire que la Nature a mis des milliers d'années à créer. Une forêt primaire se suffit à elle-même ; l'Amazonie n'est pas le poumon de la planète, mais elle en est le centre naturel, vieille, dangereuse, saignée à petit feu. »

« J'accuse le gouvernement muet de collaborer avec ces criminels [les posseiros], et d'avoir bafoué notre devise, Ordem e Progresso », a fermement condamné le prix Nobel de la Paix brésilien.

(Retrouvez notre vidéo de la conférence et l'intervention complète d'Ademar Rocha sur notre site internet : ...)


Intempéries généralisées au Brésil, dégâts estimés à 1,2 milliards de réaux (500 millions d'€) (25/07/202-)

Les inondations de l'Amazone se sont étendues loin dans les terres, en raison de l'absence d'obstacles naturels due à la déforestation, rapporte une source, souhaitant rester anonyme, proche de l'entourage du ministre de l'Environnement brésilien.

Les fortes précipitations en amont du plus grand fleuve mondial, du jamais vu depuis les premières observations météorologiques, n'ont fait qu'aggraver la montée des eaux, selon un message de METAR.

250 000 habitations ont dû être évacuées, pour un nombre estimé à 900 000, voire un million de personnes.

Le plus grand bassin forestier de la planète n'est pas le seul à être touché par les caprices de la météo : dans l'État du Minas Gerais, la sécheresse qui le frappe a fortement atteint le volume d'eau du rio Saõ Francisco, détruisant indirectement de nombreuses plantations alentour dépendantes du fleuve.

Alors qu'un deuxième ouragan vient de toucher l'État de Santa Catarina, fait très rare dans l'Atlantique sud, le gouvernement fédéral estime les dégâts globaux minimaux à 1,2 milliards de réaux (environ 500 millions d'€) et en appelle à l'aide internationale.


Cinq morts dans une escarmouche contre l'armée française, en Guyane (20/06/202-)

Cinq morts, dont deux gendarmes de la brigade fluviale de Camopi, sont survenues lors d'une escarmouche en amont de Camopi sur le fleuve Oyapock, a-t-on appris.

« Il s'agit vraisemblablement d'anciens orpailleurs clandestins, aujourd'hui reconvertis en passeurs, qui ont conservé leurs habitudes illégales. Dès que nous nous sommes approchés, ils ont fait feu », raconte un témoin ne souhaitant pas être cité. « Nous avons aussitôt répliqué. Certains d'entre eux sont morts, d'autres blessés qui, une fois rétablis, seront placés sous le sceau de la justice. »

Le président de la République a fait parvenir un communiqué dans lequel il parle de sa compassion pour les familles des victimes, et que tous les moyens seront déployés pour retrouver et châtier les assassins.

Depuis deux ans, l'immigration clandestine en Guyane, qui est la porte de l'Europe pour nombre de Brésiliens, a connu une croissance exponentielle.


« La forêt amazonienne réduite à moins d'1 million de km2 » (Dos Santos) (27/02/202-)

Le ministre brésilien de l'environnement Manoel dos Santos a annoncé que la forêt amazonienne possédait désormais une surface en-deçà du million de km2, et ce alors que la crise grave que traverse le pays atteint un degré critique.

L'émotion est grande au Brésil depuis l'assassinat du prix Nobel de la Paix Ademar Rocha devant le pavillon de sa résidence, et que l'enquête n'avance qu'à pas mesurés. Les soupçons se tournent vers les posseiros, que Rocha attaquait sans cesse, notamment dans son célèbre documentaire « Toucan pour toucan, dent pour dent ».

Le gouvernement brésilien s'est également vu vertement sermonné à la tribune de l'ONU par le président européen pour la violente répression militaire qui fit un millier de victimes dans les rues, suite aux émeutes après la mort de Rocha. Le président Das Mortes avait répliqué qu'il n'avait pas de leçons à recevoir d'un ancien président français qui avait ouvert plus de prisons que d'écoles.

Néanmoins, cette annonce du ministre Dos Santos n'aidera pas à apaiser un contexte déjà très tendu.


La France construira un mur pour « protéger la Guyane » (31/01/203-)

La ministre de l'Intérieur Armelle Bontemps annonce l'édification d'un mur qui s'étendra sur les 730 km de la frontière de l'État de l'Amapá du Brésil et de la Guyane. C'est la plus longue frontière que la France partage avec un pays.

La ministre annonce également l'envoi dans un premier temps de 2 000 militaires pour renforcer la surveillance de la frontière. « Tout cela pour la sécurité des citoyens français d'outre-Atlantique », a-t-elle ajouté.

La présidente brésilienne Mandolina do Jari a immédiatement dénoncé une « phobie du Brésil et de ses habitants » et que cela « ne restera pas sans conséquences ». Elle a également comparé ce mur à celui de Berlin, du Rio Grande et d'Israël, fustigeant « une peur irrationnelle du voisin de palier ».

Depuis cinq ans, une soixantaine de militaires ont péri face aux armes des passeurs de clandestins. Ceux-ci fuient les graves intempéries qui se répètent tragiquement sur le sol brésilien chaque année, à cause de la désertification due à la déforestation. Forêt que la Guyane a su préserver.


Des Casques bleus à Saint-Georges-de-l'Oyapock (31/10/203-)

L'attentat à la voiture piégée qui a détruit partiellement le pont de l'amitié franco-brésilienne à Saint-Georges-de-l'Oyapock, en Guyane française, et qui a causé la mort de 22 personnes, dont 3 militaires et 4 enfants, n'a pas fini de provoquer des tensions dans la région.

À l'ONU, on déplore le laxisme mortel concernant la déforestation massive de l'Amazonie pour expliquer le champ de ruines qu'est devenu le Brésil. De l'autre côté de la tribune, la présidente brésilienne Mandolina do Jari, particulièrement remontée, a attaqué la position sécuritaire de la France ainsi que sa démagogie dans le dossier de l'immigration clandestine.

Les 9 membres permanents du Conseil de Sécurité, Brésil inclus, se sont réunis à huis clos afin de réfléchir sur l'envoi ou non d'un contingent de Casques bleus pour prévenir tout risque de récidive d'attentat.


* : Presse alter folliculaire

mercredi 5 novembre 2008

Intermédiaire XXVI

S'enfuir avec ses propres démons, ça les renforce, ça les fige en vous. Et partir seule provoquera l'effet inverse que vous escomptiez ; la boucle s'adressera à la boucle, Ouroboros mémoriel, jusque son anéantissement total ; en d'autres termes, vous vous détruirez.
Encore faut-il posséder une conscience.
Est-ce le sujet de votre prochain ouvrage ?
N'importe quel livre évoque son auteur ; comment voulez-vous écrire sur des choses que vous n'avez jamais vécu ?
Peut-être... en faisant preuve, disons, d'imagination ?
Imagination ? Écoutez, un gars comme Einstein qui sort une phrase du genre « L'imagination est plus puissante que la connaissance » ne peut être qu'un abruti. Je vous parle de faits, je vous parle de la réalité, de ce que vous avez vécu, pas des Idées de Platon.
Qu'est-ce qu'un écrivain peut apporter au monde d'aujourd'hui ?
Je n'en sais strictement rien. Vous me posez une rudement bonne question.
De la patience ?
En attente de ?...
Si vous ne faites pas un effort, nous ne viendrons pas à bout.
Vous voyez ? Les faits, amenez les faits.
La fin justifie les moyens, selon vous ?
Non, ne le voyez pas ainsi... D'accord, vous marquez un point. Je n'ai pas fui à Eilean Bàn, j'aime la solitude. A cet instant, vous disposez d'une toute-puissance sur vous-même.
C'est là que vous vous trompez, mais je ne vous expliquerai rien, car vous ne voulez rien entendre.
Tirons partie des faits.
Très bien. Il neige.
N'est-ce pas ? Ne vous faites pas de mouron. Les flocons de neige ne durent pas, vous savez. Le vent et le sel sont sans pitié, à défaut de soleil. Vous pouvez rouler tranquillement sur Skye Bridge et rentrer chez vous.
Vous sortez de la douche.
Ne pas ronger les cuticules gonflées par l'eau brûlante de la douche, cette faim d'épiderme sans saveur découvre le sang de la chair.
Vous avez mangé des pâtes.
J'ai fait bouillir de l'eau ; les minuscules bulles d'oxygène, coincées sous la tache d'huile d'olive flottante, se réconcilient, se communautarisent, percent la substance oléagineuse puis éclatent ; invisible vapeur, éther domestique de la casserole.
Et cela n'est-il pas preuve d'imagination ?
Non, ces images retranscrites ont eu lieu ; ce sont des faits.
Je n'ai qu'une conclusion : vous êtes ignorante. Jamais il ne vous viendra à l'esprit que ce phare illuminera les sommets blanchis jusqu'au ciel, telle l'écume terrestre, ou le cadavre méticuleux des nuages...
Vous déblatérez des foutaises. L'imagination est un poison, car elle fait rêver. Je ne me base sur rien d'irrationnel.
Laissez-moi deviner... Vous percevez le monde en gris.

samedi 1 novembre 2008

Intermédiaire XXV

Dormir ; c'est bon de dormir, surtout dans un lit.
Le premier instant délicat est de se glisser sous les draps. C'est froid car inhumain. Mon père m'a confié, quand j'étais petit, de compter cinq minutes pour que le tissu nocturne absorbe et renvoie ma chaleur. Et, effectivement, au bout de cinq minutes, mon corps cessait de frictionner ses muscles, et la bulle de bien-être battait tel un cœur apaisé ; cocon environné d'un froid hivernal. Recroquevillé en position fœtal, il nécessitait encore d'étendre ses jambes ; d'autres territoires à conquérir.
Maintenant, votre corps est prêt, mais pas votre tête, non... La tête ordonne, le corps suit. Quel que soit le degré de fatigue, c'est la tête qui appuie sur le bouton d'extinction des feux (notez bien que la Maladie influence la direction des commandes). Il me faut le noir complet pour qu'en fermant les yeux, je ne perçoive aucun stimuli vespéral.
L'on ferme les yeux.
Vos pensées vous assaillent, le recyclage naturel de la journée a démarré. Quelquefois surgit une phrase qui peut tourner en boucle, obsédante jusque la démence. « Je dois dire quelque chose. » N'importe quelle émotion la ramènera. « Je dois dire quelque chose. Je dois dire quelque chose ? Je dois dire quelque chose. Je dois dire quelque chose ! » C'est un poison solitaire ; si l'on n'y prend pas garde, elle devient une sentence à mouvement perpétuel.
Une phrase, ou bien un geste curieux : l'attention se porte soudain sur les paupières continuant à battre automatiquement, même fermées !
Parfois, l'on bâille. Le corps se détend. Parfois aussi, on a un bras ou une jambe, ou un pied, bref, une partie de la carcasse qui soubresaute brusquement, alors qu'on ne lui a rien demandé. Quand je vous disais que le cerveau tien les rênes... Il s'agit de lui, il surveille si l'on n'est pas en train de mourir. C'est qu'il veut vivre !
Les pensées virevoltent, à l'aide d'un plan de vol moins chaotique qu'initialement ; le filet à papillons est efficace. Moins bruyantes également ; pourtant il suffit d'une mutinerie d'une inassouvie pour retourner en pleine cacophonie. Disons que rien de semblable ne se soit déroulé ; dans ce cas, une autre catégorie de pensées apparaît : celles qui délirent. Certaines ont fusionné, se métamorphosant en des monstres d'imagination. Alors que l'on sent une pression provenant de derrière ses yeux, les paupières seules empêchant une auto-énucléation, l'incongruité de l'atmosphère mutante dans laquelle on est plongé ensorcelle. Un bruit de bouteille débouchée, à une seconde d'intervalle, et les yeux sautent ; je ne tâtonne le sol afin de les récupérer après qu'il aient fini de rouler, le temps utile à cet insupportable malaise de s'estomper. Le son de la succion au moment où je les remets en place englobe mon crâne d'une insoutenable onde nauséeuse.
Puis je me relève sur la plage du Treustell, à l'Île-Tudy. Les dunes en béton armé ont remplacé celles de sable dans l'optique de protéger l'humain. Devant moi, de l'eau plate ; sur ma droite, la mer est en furie, elle fracasse de lames de fond l'amoncellement de roche grise ; le dais céruléen frémit à peine ; je n'entends pas ce clivage de rivages. Je décolle en douceur, je survole le terrain de vacances de ma grand-mère plus loin dans l'éther ; le saule roux pleure ses feuilles, pourquoi persister à les converser ?
Sur le pont de Sainte-Marine - je libère un bras coincé sous mon torse -, j'observe l'Odet transformé en benne à vase. Je salue un petit garçon qui voyage sur son lit volant. Je plonge de l'édifice ; la sensation de gravité est physiquement grisante et irrésistible ; les G au creux de l'estomac me le barbouillent alors que je remonte dans les airs.
Je m'enfonce au sein des cirrus qui s'effilochent, tandis que la sensation de vertige se dissipe ; je m'assoupis sur ce matelas en ramenant un drap cotonneux...
Oui, ce journal électronique recèle de textes qui sont malgré tout ma propriété. Si vous souhaitez en utiliser un, contactez-moi grâce à l'adresse suivante : sacred.fire.blogspot@gmail.com
Merci !
Yohann ©®™☺☼♥♫≈(2003-2009)