dimanche 22 juin 2008

J'entends souvent, je lis parfois, lorsqu'on s'insurge d'un fait qui nous heurte car stupéfiant dans le rétrograde, une exclamation de ce type :
« On est quand même en 2008 ! »

Je vais prendre l'exemple du jugement de Lille concernant la non-virginité de la femme (je vous renvoie à l'article du Canard enchaîné retranscrit plus bas) sur lequel on peut s'écrier légitimement : « Comme si la virginité d'une femme lors de sa nuit de noces était une qualité essentielle ! On est quand même en 2008 ! » Ou plus affligeant encore, sur l'essor de l'hyménoplastie, régénération vaginale par la chirurgie plastique (Élise Vincent, Mon hymen, son honneur, « Le Monde » du 19.06.08), opération visant à satisfaire les mâles et une tradition religieuse ; ignoble. « On est quand même en 2008 ! »

Qu'est-ce qui procure cette sensation d'ahurissante conviction à travers cette formule ?

On peut y déceler dans un premier temps une naïveté. Intrinsèquement, « On est... » est une position dans le temps, vous en conviendrez. L'évolution des mœurs sociétales (l'évolution tout court, également) veut que les choses avancent, peu importe la direction, mais qu'elles avancent quand même. Plus on s'éloignerait dans le temps, plus la modernité se ferait présente. L'époque que nous vivons a tellement transformé nos habitudes quotidiennes en un rythme crescendo (la rapidité de certaines actions nous semble parfaitement normal : réchauffer un plat au micro-ondes, rallier Rennes en deux heures et quelques, envoyer un message...) que le passé, à des yeux innocents se situe à des distances floues et très lointaines.

Aujourd'hui qu'existent des droits pour l'homme inédits il y a de cela trois siècles, une attitude foncièrement à l'encontre de ces droits nous paraît un retour en arrière. Croire que ces droits sont appliqués, ou ne serait-ce que respectés par tout un chacun relève de la naïveté. Les femmes ne pouvaient ouvrir un compte bancaire sans l'aval de leur mari il y a quarante ans ! On nous sermonne sur le « Nul n'est censé ignorer la loi » ; seulement quand le nombre de décrets dépasse allègrement les dix mille (dont une explosion récente due à la concomitance opinion publique-réaction politique), j'en viens à penser qu'il serait temps d'ouvrir, en sus de l'école, des madrasas pour le droit français.

Le « On est... » est pathétique dans son dédain puisqu'il implique en sous-entendu un comportement proche du ridicule, voire potentiellement délétère. L'expression apporte un soupçon d'égoïsme et de condescendance de la personne qui la prononce. « On est quand même en 2008 ! » ; comprenez « Rattrapez votre retard pour vous mettre à mon niveau d'interprétation des Droits de l'Homme ! » Il s'agit de facto de juger le comportement d'autrui sur le sien et en général. Le souci étant que chacun se comportant selon sa façon d'être, il est alors nécessaire de trouver des expressions de comportement qui cristallisent, pour un temps, une majorité (actuellement : le tout-sécuritaire et le politiquement correct) ; le reste, la minorité donc, n'est de ce fait pas apparenté à la modernité. Maintenant il s'agit de s'accorder sur la définition d'une « modernité du comportement ». Vous avez peut-être deviné qu'elle n'existe pas ; du moins peut-on la discerner en excluant les modes de vie religieux rongeant les Droits de l'Homme, de par leurs tentatives d'ingérence. « On est... » serait donc la parole du nombre, imposant son diktat ; le nombre des années n'effaçant pas la bêtise humaine, je vous pose la question : « On est quand même en 2008 ! » est-il plus persuasif que « On est quand même en 2007 ! » ? C'est pourquoi débattre à partir de « On est quand même en xxxx » est sans fin, puisque prononcé à un instant t par n points de vue.

Il est tellement plus facile de faire plier les gens par le poids du nombre, les empêchant de penser, pour les amener à raisonner comme des moutons. Le mécanisme est vieux comme l'humanité. « On est... » est un abrutissement encore sur un point. Le conservatisme bête et méchant s'y complaît : on demande, comme nous l'avons vu, à un instant t, de se mettre au diapason d'un comportement moderne qui lui-même évolue ! D'un côté il se frustre à rencontrer une attitude évaluée comme arriérée, de l'autre il somme de se conformer à la sienne propre, qui évoluera tôt ou tard. On tend la main pour émanciper, et de l'autre on vous cloue sur place. N'est-ce pas là, le point le plus absurde de cette phrase ?

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