samedi 16 mai 2009

Jour #2

Vendredi 19 décembre

La seconde commence dans un café, tôt le matin, guère éloigné du rendez-vous fixé, en compagnie de Ced et Seb : deux vieux de la vieille du déménagement, mais bien plus proches de mon âge que mes collègues d'hier. Et beaucoup moins doués pour mettre à l'aise. Certes, le matin m'est toujours la période la plus difficile de la journée, mais il ne faut pas exagérer, on peut m'adresser la parole.
Je suis de nouveau assis sur le siège du milieu.

Il s'agit d'un cabinet d'avocat qu'il faut déplacer d'un endroit de Quimper à un autre. Qui dit avocat dit paperasse à ne plus savoir qu'en faire et cartons débordant de tous côtés. Oh, et une notion que j'ai vite apprise : quel que soit l'endroit où l'on transvase les affaires, le volume transporté est identique à celui qu'on embarque et que l'on débarque. La peine mentale infligée lors de la vision de ce que l'on a à transvaser est par conséquent double.
Ici, chacun des cartons est numéroté par rapport au nombre total des cartons que chaque personne référencée du cabinet compte emporter. Ce qui semble être une bonne organisation d'entreprise devient cruel aux yeux du déménageur : au lieu d'une quantité informe d'affaires, l'on sait à quoi s'en tenir numériquement. Le travail demandé atteint un degré plus précis de concrétisation.
C'est comme si l'on vous annonçait : « Avec tout ça, vous allez perdre tant de décilitres de sueur. »
Petite précision : c'est l'air à l'intérieur du carton qui le rend plus facile à transporter dans ses bras. Imaginez maintenant le poids d'un carton rempli de ramettes de papier non entamées (que ce soient des enveloppes ne changent pas grand-chose) ; de quoi se casser les reins, je vous le garantis.

Le patron local rechigne à récupérer des anciens meubles : « On a investi ! On ne va pas les reprendre ! » Il l'a plutôt mauvaise de voir le monte-meubles à l'abordage du balcon de son nouveau bureau. La secrétaire en chef, quant à elle, a quelques similitudes avec celle jouant dans la série Mad Men : rousse, un mélange de port hautain et de bienveillance, un sourire enjôleur ; moins plantureuse et moins de hanches, cependant.
Le bâtiment sort à peine de terre. De nombreux techniciens parcourent les couloirs tapissés de moquette récemment shampooingné ; de cet état, une pancarte maison avertit le visiteur dès l'escalier, ce dernier escaladant une façade, donnant une allure de donjon à l'édifice, sachant qu'une fois de plus la brume a investi la cuvette qu'est Quimper.

Des cinq journées de travail, celle-ci fut la seule où l'occasion de déjeuner sans hâte, et à la maison, se présentât.
Il me fallait attendre Dédé, mais Dédé revenait d'une semaine sur Paris d'avec le poids-lourd, ce qui fournissait une fourchette de l'heure d'arrivée assez large. Pour patienter, permission patronale me fut accordée d'aller faire un tour dans une enseigne culturelle voisine ; j'ai pertinemment remarqué l'affolement du vendeur sur mes connaissances en science-fiction et Asimov (« Non, monsieur, j'ai déjà tous les Fondation ! »), démentant mon allure, disons, de travailleur manuel, débraillé, révélant un délit de faciès et une estimation d'autrui par son habillement. Une attitude proprement inacceptable que j'aurais aimé fouetter davantage si le temps n'avait malheureusement joué contre moi.

Dédé est un sexagénaire (moins âgé que Totof) à la moustache grise et fournie, un peu voûté, un peu trapu, à la voix haut perché, nasillarde de surcroît ; la combinaison est plus exacerbée encore lorsqu'il passe un coup de téléphone. On en vient rapidement à parler football, subséquemment à des bouts décousus de conversation, et je l'informe du tirage Concarneau - Lyon pour la Coupe de France ; le match est programmé à Guingamp et non à Quimper pour cause de légionellose dans les vestiaires !

Nous livrons une dame, habitant Paris, qui emménage un immeuble encore en travaux ; les couloirs, les escaliers et la cage d'ascenseur débordent de monde ; « On se marche constamment sur les pieds, c'est comme ça depuis le début », me confiera un intellectuel du bâtiment. Un électricien.
Deux sortes d'affaires bien distinctes sont à livrer : celles qu'il faut monter au quatrième et celles qu'il faut descendre au garage. Il était inévitable que nous nous trompassions en montant au moins un objet de masse conséquente à l'étage, alors qu'il n'avait sa place qu'au garage.
La cliente est représentée par sa sœur et le beau-frère qui va avec, en n'oubliant pas l'un des gendres concevant la cuisine, sœur qui chagrine au fur et à mesure de l'entreposage des cartons à la mention « Livres ». Le beau-frère détient une liste qu'il coche à chaque fois que mon chariot pointe le bout de ses roues à l'entrée de l'appartement. Tout neuf qu'il soit, le bâtiment dispose d'obstacles au sol à la libre circulation des chariots de déménagement – et que penser des fauteuils roulants ! – sous la forme de l'encastrement des portes de l'accueil et de l'appartement en lui-même. Sur le moment, ajoutez les multitudes d'épais fils électriques serpentant les couloirs ainsi que le jeu aléatoire de l'ascenseur sur les étages prioritaires à donner.

« 800 € pour un déménagement de Paris à ici, tout descendre du cinquième d'un ascenseur plus qu'étroit, pour tout remonter ici au quatrième et un garage ? Et même pas un pourboire ou ne serait-ce qu'un rafraîchissement ? Ça vaut pas le coup de se casser le cul pour ça, tiens ! » ronchonna Dédé, le travail fini.
Le week-end arrive à propos pour mettre à profit deux grasses matinées régénératrices.

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