lundi 24 décembre 2007

VII – Steppes céruléennes

En hommage à Julien Gracq.

La couleur du sable est passée du blanc ivoire au gris nuageux. Gaya se penche, plante ses doigts et en retire une grosse motte. Lorsqu'elle l'écrase, ce n'est pas grain par grain mais par petits tas qu'elle s'éparpille ; les restes de la motte collent dans le creux de la main. Gaya s'essuie négligemment sur sa robe.

De même que l'empreinte de ses pieds est beaucoup plus précise que là-haut, sa piste est facilement repérable une fois sur la bande de sable argentée.

Le ruisseau s'étend sur celle-ci, avant d'être absorbé par ce gigantesque et brillant cours d'eau. L'harmonie des teintes entre la mer et le sable est éblouissante de naturel : le passage de l'une à l'autre enthousiasme Gaya par son implicite beauté. Ce qui l'étonne davantage, c'est l'absence de différentiation entre la mer et le ciel. Pas l'ombre d'une ligne colorée de séparation à l'horizon, même en forçant la vue. Les deux espaces, plongeant l'un dans l'autre, sont liés de telle manière qu'il en a toujours été ainsi : voilà ce que Gaya en pense. Même couleur, rôle distinct, symbiose totale. Une boule de joie et d'excitation s'attarde dans sa gorge, avant qu'elle ne s'avance dans le ruisseau.

Un frisson lui remonte l'échine au moment où ses pieds captent la fraîche température de l'eau. Sa peau est tiraillée, picote. Elle remue des orteils et ce sont tous les interstices de ceux-ci qui se mettent à la chatouiller irrésistiblement.

Le froid l'anesthésie progressivement, une sensation gourd s'emparant de son épiderme. Gaya marche, soulève des panaches de sable étincelant emportés par le courant, s'enlise dans un coussin moelleux.

Sa robe est trempée jusqu'aux genoux, et la gêne. Elle sort du cours d'eau, cherche et trouve une parcelle de sable sec, retire son habit par le col et l'étale par terre en disposant ses chausses à côté.

La voilà nue, en proie aux légers souffles venant du large, aux dards réchauffants du soleil. D'ailleurs elle se rend compte que sortir de l'eau lui a permis d'insuffler de nouveau la vie dans ses pieds, devenus presque insensibles ! Embrassant son corps pour la première fois de la vue, Gaya le parcourt lentement du bout des doigts : ventre, jambes, bras, dos. Ses cheveux la frôlent jusqu'au bassin, et lorsqu'elle tire sur l'un d'entre eux, un picotement l'assaille en haut du crâne, ce qui lui arrache un petit rire.

S'approchant de la mer en longeant le ruisseau, Gaya s'arrête à la limite d'échouage des vagues. Cette monumentale flaque la rebute un peu, l'effraie même, quand soudain un écoulement chaud submerge ses pieds : une vague s'y est fracassée. Cette agonie rassurante l'invite à progresser plus avant, ce qu'elle fait, toute inquiétude évanouie.

Des cris plaintifs et lointains descendent vers elle, l'enfant lève la tête : une innombrable nuée de volatiles blancs papillonnent dans les airs et s'éloignent à tire-d'aile.

Pour une raison qui lui échappe, ce spectacle étrange lui sert un peu le cœur, mais une seconde vague vient lui lécher les orteils en mourant. Gaya rentre dans la mer.

lundi 10 décembre 2007

VI - De glaise

Elle se remet debout. Toute pantelante, Gaya contemple dans un premier temps le ruisseau et d'un air béat, tourne et retourne lentement ses petites mains luisantes.

Pendant un instant d'éternité, Gaya ne sait plus où elle est. Une émotion l'envahit peu à peu, qui fait trembloter son corps. Sa vue se brouille, une chaude larme s'écoule de chaque oeil, une main posée sur la bouche étouffe un sanglot.

Son esprit s'est fixée sur la sublime simplicité créatrice de l'eau, et ses frêles barrières émotives ont subitement cédé. Cette difficulté à respirer, ce souffle court, ces brusques goulées d'air sont douloureusement calmés. Le cœur affolé, le sang tambourine dans les tempes jusqu'à l'apaisement. Le goût salé des larmes passe entre ses lèvres, qu'une langue a instinctivement fouetté. Un index vint furtivement essuyer les yeux.

Parfois, elle ne pourrait contrôler ses émotions. Ce fut exquis.


Mélancolique, le cours d'eau l'avait surtout rendue songeuse. L'eau et la vie, si profondément, si intimement liées que c'en était insupportablement beau... Pourtant, quelque chose l'intriguait... Mais elle chassa ces idées hors de sa tête, le moment suivant une expérience émotive (et physique) si forte et nouvelle ne lui paraissant pas adéquat à la réflexion.

Elle décida de marcher, voulant évacuer cette torpeur qui l'accablait ; elle accompagna le ruisseau dans sa course vers ce but inconnu.


Le paysage a changé. Le ruisseau contourne la colline. Un étrange bruit se fait insistant à mesure que Gaya marche, semblable à une longue inspiration, presque un soupir. L'air n'est plus tout à fait le même, non plus : il s'est vivifié, paraît cinglant et sec ; sa texture également, ce vent a le goût de ses larmes.

D'un coup, le soupir devient davantage hâché et lui emplit totalement les oreilles. Gaya débouche de derrière un rocher et, moins aveuglée que surprise, se protège les yeux de la main. Ceux-ci étant clos, elle peut voir la marque blanche que la surface scintillante lui a imprimée virant au jaune.

A travers le filtre créé par ses doigts, elle regarde un immense champ bleu remuant et mouvant. S'habituant aux multiples reflets, Gaya peut continuer son chemin qui, lui aussi, se transforme : l'herbe ne pousse plus sur de la terre marron mais sur une matière étrangement friable, fine, qui s'écoule comme de l'eau entre les doigts. Ces grains sont tout petits !

Sans compter qu'elle s'enfonce là-dedans lorsqu'elle marche, qu'elle manque quelquefois tomber car ce sol bosselé n'est pas d'une stabilité exemplaire ; par contre, une fois qu'elle eût enlever ses chausses, la sensation du sable tiède se frictionnant agréablement autour de ses pieds est merveilleuse ! Un sourire de contentement flotte sur le visage de Gaya.

Là-bas, le ruisseau semble se confondre avec l'étendue bleue.

dimanche 25 novembre 2007

V – L'élixir

Pendant cette observation, elle fit un tour sur elle-même, ne se rendant pas tout de suite compte du jeu de ses pieds pour garder son équilibre. La surprise de découvrir cela lui étira les lèvres en un charmant sourire, et ce n'est qu'après avoir effectué un tour du tronc de l'arbre, tenu dans le rôle de tuteur, qu'elle se risqua à rester debout par ses propres jambes. Les petits tremblements s'estompèrent à mesure que la confiance grandît.

La première idée qui lui vint fut d'aller voir le ruisseau. Prenant un air déterminé, elle s'engagea sur la légère pente. Deux fois, alors qu'elle sentait défaillir ses membres, elle prit la peine de s'asseoir pour récupérer. Il fallait prendre son mal en patience, car Gaya y parviendrait, elle en était persuadée.

Enfin, elle fut au bord du ruisseau. Gaya le regarda sur toute la longueur qui lui était offerte. Le bruit de l'eau était sensiblement plus fort ici qu'à côté de l'arbre. Elle plia ses jambes sous son postérieur et, la tête au ras du sol, s'approcha de l'eau.

La jeune personne reste fascinée par les mouvements gracieux et infinis du liquide roulant sur les cailloux. L'eau, si simple, est une effervescence endormie. Gaya parvient alors à discerner la puissance considérable dissimulée par cet élément d'aspect faussement tranquille.

Elle plonge une main timide dans un remous, main qu'elle retire aussitôt. Une forte impression ainsi qu'un respect se lisent aisément sur son visage juvénile, bouche entrouverte par le choc. Un frisson la parcoure, non pas d'effroi, mais de compréhension. Cette force... Gaya perçoit qu'à travers son geste elle a atteint un palier, on lui a adressé un message : cette caresse douce et fraîche, c'était l'haleine de la vie !

Sans hésitation, elle joint ses mains en coupe et les replonge dans le ruisseau. Après s'être enivré un instant de ce nouveau contact aquatique, elle les retire, toutes dégoulinantes, et les yeux fermés, elle en approche ses lèvres et boit.

La sensation est complètement différente de celles connues à son réveil (celles-ci étant reléguées en arrière-plan de sa mémoire, mais toujours bien présentes). Le filet délicieusement frais s'abîme dans son organisme. Elle continue à boire lentement, sentant des zones internes vibrer puis un engourdissement relatif l'envahir. Elle ne fait pas attention aux deux gouttes qui glissent sur son menton et sa gorge. Une fois rassasiée, elle se rassit, ses mains humides posées entre ses cuisses.

Les yeux dans le vague, Gaya a une profonde inspiration.

Respirer et boire sont des mouvements essentiels à la vie.


(Suite : le 9 décembre)

vendredi 9 novembre 2007

IV – La place de chacun

Elle remplit ses poumons d'air. Expire le plus longtemps possible. Son odorat est déjà saturé des fragrances environnantes.

Elle observe alors patiemment ce qui l'entoure : le soleil est haut, le ciel est bleu, les nuages moutonneux roulent paresseusement ; l'horizon (un tour sur elle-même) se dessine une courbe ; sur l'étendue herbeuse devant elle, les plantes se balancent doucement au gré du souffle ; les insectes bourdonnent, stridulent, grignotent, tandis que les oiseaux planent, chantent, picorent ; le ruisseau glougloute silencieusement en contrebas et l'arbre grince en basse profonde ; elle, son cœur tambourine de manière onctueuse.

Sans justification, Gaya sait qu'elle n'est pas une intruse, qu'elle fait partie intégrante du système. C'est alors qu'une question lui vient en tête, que l'on pourrait formuler ainsi :

« Quel est le lien qui assemble tout ceci ? »

Elle a ressenti une harmonie entre tout ce qu'elle a pu apercevoir, que ce fut animé ou non. Il y existe une cohésion, un joint unique. Il est unique car il est le même entre tout ; toutes les interactions, conscientes ou non, instinctives ou non, se font par son biais. Néanmoins, chacun de ces liens, aussi petits ou grands soient-ils, s'élaborent en totale indifférence. Quelle que soit la tournure, l'assemblage sera parfait.

Le plus troublant, c'est que Gaya a la sensation que cet état de fait n'est pas fortuit.

Est-ce que cela se voit ? Cela se sent-il donc ? Ce ciment est-il palpable ?

Quelque chose m'aurait-il échappé ?

Un soupçon d'inquiétude apparaît soudain : ne saurait-elle pas tout ? Elle reste statufiée quelques instants, avant de se reprendre petit à petit, se rassurant son omniscience.

Le germe du doute n'en est pas moins planté.

jeudi 25 octobre 2007

III – L'histoire d'une vie

Une main s'égare sur la joue, cherche maladroitement l'endroit où l'épine de froid de la goutte s'est faite sentir. Tout s'est déjà évaporée.

L'enfant s'est redressée, appuyée contre le tronc d'un somptueux arbre, les jambes croisées. Elle a dégagé la capuche, et une cascade de cheveux roux doré s'est déversé dans son dos. Le phénomène étrange de sa peau semble aux prises aussi avec ses cheveux : la teinte se modifie sensiblement selon l'exposition au soleil.

Des picotements voyagent dans son corps, et ces petits crépitements organiques la chatouillent plaisamment.

Se retournant sur un côté, elle appose la main libre sur le tronc. Sa sensibilité lui permet de capturer la moindre nuance de l'écorce, de sa texture : d'infimes sillons, craquelures, bosses. Tout ce qui, en somme, paraîtrait pour malformation. Pourtant, ces stigmates ne sont pas apparus de façon anodine, il faut nécessairement qu'il y ait une raison à leur existence. L'arbre ne peut, dans sa nature même d'arbre, avoir créer sans utilité aucune de ces traces, ce qui signifie qu'il eût à subir des agressions. L'arbre dut s'adapter en conséquence : ces sillons, craquelures et bosses sont les cicatrices, les réponses. Ils contribuent au final à raconter une histoire, son histoire, et également assurer son identité.

L'enfant ressent de la tristesse vite remplacée par une conviction nouvelle : elle s'est éveillée pour entamer une histoire, la sienne. Et alors que cette pensée se forme en elle, ses doigts parcourant l'écorce sentent une pression étrange, semblable à un faible coussin d'air chaud. Dans le même instant, une porte s'ouvre en elle avec un déclic, et son bien le plus précieux lui est donné : son nom.

Gaya.

Ainsi commence son histoire.

mardi 9 octobre 2007

II – Réveil

D'abord le toucher. La goutte, s'écrasant sur la peau, explose en une myriade de gouttelettes qui s'éparpillent à l'impact. Un transfert de chaleur s'opère immédiatement, rééquilibrant la balance thermique des matières en jeu. Cela n'a pas échappé aux terminaisons nerveuses : c'est trop tard, le message de l'infinitésimal signal a enclenché l'impulsion de la conscience. La léthargie est terminée.

Suivent sans transition l'odorat et le goût : ces deux-là sont indissociables. Rien dans la bouche, mise à part la salive. La langue frémit. Une brusque et courte inspiration confirme l'éveil de l'être conscient. Des phéromones, des effluves et des odeurs pénètrent par les cavités nasales. Toute molécule est cataloguée.

L'ouïe enchaîne, pas de temps mort. Un tohu-bohu indescriptible envahit les oreilles de l'enfant. Le tri est expéditif : coulis de l'eau sur des rochers, léger bruissement de feuilles, faible grondement de la terre.

La vue s'ajuste en dernier. Lorsque la conscience s'éveille, ses yeux ne lui renvoient que la couleur rouge sombre des paupières. Celles-ci finissent par s'écarter doucement. Les pupilles se contractent au moment où des rayons frappent la cornée. Des iris verts, vides d'expression, se distinguent à travers les cils, pointant l'azur entre les feuilles et l'horizon. Un nuage s'avance dans son champ de vision, comme pour faire obstacle à cette rêverie, et les paupières s'élargissent soudain un peu plus, les yeux scintillant.

Premier clignement des paupières. Premier balayage de souvenirs.

mardi 25 septembre 2007

I - Naissance

_Perle dans le vide éternel. Elle navigue, elle flotte, ne coule pas. En vérité, elle ne peut couler. C'est la perle unique. Tantôt de nacre, tantôt d'un blanc laiteux. Cette couleur déchire le vide. Mais quelle couleur possède ce vide ? Ce vide possède-t-il une couleur ?

_Un soleil, solitaire, se consumant de l'intérieur, cannibale de lui-même. La chaleur devient insoutenable à mesure que l'on s'en approche, elle pourrait anéantir n'importe quel inconscient. Ses gigantesques turbulences le laissent de marbre, ne bousculent rien. Son activité est propre. Qu'est-ce qui pourrait donc perturber l'étoile ? Ce grumeau qui gravite autour ?

_Si brune, si bleue, si blanche : d'une fragile majesté. Des immensités brunes, des infinités bleues, des illusions blanches. Aucun de ces incommensurables domaines ne semblent reliés entre eux, pourtant... comment pourrait-on réagir sans d'autres éléments à sa portée ?

_Quelque chose scintille. Cet objet renvoie la lumière du soleil, faiblement. Ce n'est pas une perle, mais une goutte d'eau. Uniformément sphérique, d'un contour parfaitement lisse. On est en droit de se demander ce qu'elle peut bien faire en cet endroit, isolée, et depuis combien de temps. Sur l'atmosphère de la planète, elle surnage, elle s'y maintient. Ou non ? Il semblerait que... Oui ! La voilà qui tremblote, qui se laisse fléchir. Elle ne peut que s'abandonner. Y aurait-il un but en soi ? Peut-être.

_Maintenant elle franchit les couches d'air, imperturbable. Malgré la vitesse croissante, elle reste ronde, ne se désolidarise pas, entière. Sa trajectoire lui fait traverser un nuage, obstacle plus périlleux qu'il ne le veut bien paraître. La chute est inéluctable, il ne subsiste plus désormais que le point d'impact à connaître.

_Un arbre s'élève à proximité d'un ruisseau, dans un relief un peu bombé. La goutte plonge dessus à la verticale, mais, et cela est difficilement concevable, celle-ci perd de la vitesse. Elle transperce la frondaison, frôlant branches et feuilles, tout en ralentissant. Et ce n'est qu'à ce moment qu'on note la forme blanchâtre, duquelle on distingue un visage, allongée au pied de l'arbre. De plus en plus lentement la goutte descend, parallèlement au tronc, et s'arrête à un peu moins d'une dizaine de centimètres de la peau de l'inconnu(e).

_Il donne l'impression d'être mort, ou, plus exactement, inanimé, car, malgré les plis du vêtement on entrevoit la poitrine menue qui se soulève presque imperceptiblement. Les traits ne permettent pas de déterminer le sexe de l'individu. Ce que l'on peut constater, c'est qu'il s'agit d'une jeune personne, d'une douzaine d'années, approximativement. La peau est presque aussi immaculée que l'étoffe encadrant le visage, cependant, si l'on observe plus précautionneusement, l'épiderme s'adapte de façon subtile avec des tons plus ou moins foncés selon la variation de la luminosité. Les yeux clos ne bougent pas, malgré les stimuli impatients des feuilles coquines.

_Cet instant qui vaut mille interrogations, où le zéphyr suspend ses cabrioles et le temps ses sautes d'humeur, prend fin.

_La goutte tombe sur une joue.

jeudi 30 août 2007

Il n'est pas dit que ne je ferai pas un article par mois !
"Je me fous des Bretons."
Bien. Très bien. Attends un peu que je m'occupe de toi, espèce de sale FILS DE P...
Hum.
Bientôt, guerre en Iran de prévue. Secouez-vous les puces, les gars, on voit devoir s'y coller.

mercredi 25 juillet 2007

Et puis bon anniversaire, vieille carcasse !
24 ans.
Comme promis, quelque chose en rapport avec cet univers qui m'habite. En espérant que vous apprécierez.

ILe mouvement des Temps
II
La quête
III
Air
IV
Arbre
V
Feu
VI
Lumière
VII
Sacré
VIII
Ténèbres
IX
Eau
X
Lune
XI
Terre
XII
L’écharde de métal
XIII
Le miroir de l’âme

I – Le mouvement des Temps

Lors de la Nuit tombante,
Le crépuscule jouant le funambule
Sur les cordes libres du monde ;
A l'heure où tous les candélabres s’éteignent,
Les cors et les tambours remplacent
La musique entêtante des cœurs sagaces.
L’heure de payer par le sang,
Manie furibonde des Grands,
Instant charnel de la perte.
Jetant cartes sur table,
Lui-même balancier : le Chevalier.
Voyant les temps sombres s’avancer,
Le Serment ancestral est à respecter.

II – La quête

Éparpillées sur la sphère de la conscience,
Autrefois fruits de la Pensée,
La vie statique croît sans cesse en elles.
Une à une regroupées, solides,
L’ensemble devient inestimable,
Libère de la nature brute,
Et fait jaillir subrepticement,
Oubliant l’opaque, le translucide épuré,
La Vérité de la Réalité.
Juger sans toutes les Pierres
Est une offense à l’égalitaire.
Le Chevalier est prévenu,
Le salut dépendra de sa vertu.

III – Air

Agréable effleurement sur le visage,
Invisible souffle de l’agonie,
Réitérant cette circulation à l’infini.
Vibration de l’être et de l’esprit :
Tu t’envoles sans bruit.
On te connaît caractériel :
Énervé, tu abuses du tonnerre ;
Émerveillé, c’est l’arc-en-ciel ;
Chagriné, une petite bruine passagère.
Des nuages ronds et moutonneux,
Témoins de ta légèreté,
Deviennent ô combien nombreux
Tant que tu n’es pas considéré.

IV – Arbre

A chaque année s’accroissant,
Racines s’enfonçant dans le sol,
Bourgeonnant tous les printemps,
Rattrapé par l’automne
Et parfait dans son contentement.
Ton ascension perpétuelle vers le ciel
N’est récompensée que par la rosée.
La sève, espérance vivante des feuilles,
Flue de verte sensualité.
Car en vérité, c’est ton secret
Des choses et de la destinée,
A l’aide des fruits et des baies,
Que se cache ton immortalité.

V – Feu

Flammes léchant la voûte,
En même temps claires et foncées,
Union purificatrice et régénératrice.
Capricieux et insaisissable,
Amour et colère indissociables,
Pour le rouge de la passion.
Brûlant tout sur son chemin,
Prolongement igné des rayons solaires,
Foyer temporaire, incendie de guerre.
Pourtant, derrière tes ravages,
La nature flambante neuve ressurgira.
Tu embrases et tu consumes :
Sentir cette chaleur dans les veines…

VI – Lumière

Lanterne de douce candeur,
Usage du matin qui ranime ta splendeur,
Manifestant ta volonté de charmer :
Innocence de ta bonté.
Édifiante dans ta munificence,
Redoutable dans ta clairvoyance,
Émerveillant les iris chatouillés
Par l’effervescence de ta blanche nature.
Concentrée au sein du Soleil,
Tu libères une kyrielle de joyaux
Muant ta rayonnante chevelure
En un simple et harmonieux halo
Jusqu’au soir de vermeil.

VII – Sacré

Tourbillon et maelström des sens,
Pilier salubre des âmes,
Mélange impétueux et raisonné
De la saisonnalité des éléments.
Sans aucune nature clarifiée,
Ancre dans le flot des sentiments,
Cercle formant un carré,
Retour en soi et inversement,
En jouant avec subtilité.
L’absolu dans l’universalité,
Tu rassembles les opposés,
Et sous tes ailes, dans la sagesse,
Tu leur permets de se côtoyer.

VIII – Ténèbres

Les exhalaisons chtoniennes
Tellement glauques et malsaines
Parfois entre elles se gênent,
Aigreur et rancœur, de là se souviennent.
Suffocantes dans leur noirceur,
Terribles d’aspect et d’attrait,
Enivrantes davantage que séduisantes,
Nocturnes et implacables,
En elles se forment les pires venins.
Battant trompeusement en retraite,
Revenant plus impitoyables à la charge,
Empoisonnant les espoirs et les amitiés,
S’abattant sur les cœurs, tombe l’obscurité.

IX – Eau

Flocons moelleux sur les sommets
Se transforment en d’innombrables fontanili
Quand surviennent les jours printaniers
Faisant oublier le givrant hiver.
Se prélassant dans son lit,
Absente cruelle des cuisants déserts,
Traversant forêts et plaines,
L’aboutissement est le même : la mer.
Infinité liquide des origines,
Rebondissant avec allégresse sur les rochers,
Effaçant la souillure par vagues,
Ambiante nuée à l’odeur iodée,
Us et coutumes de ta pérennité.

X – Lune

Face froide réfléchissant
Le flambeau éthéré des étoiles,
De l’empyrée au firmament,
Tu attires comme tu inspires.
Double faucille d’argent,
Inconsciente ou présente,
La rêveuse laisse filer le temps.
Immobile mais toujours en ronde,
Compagne de voyage si calme.
Lueur dans l’immensité,
Une fois vue n’est plus éclipsée.
Ni poison ni remède,
Éternelle source de la fécondité.

XI – Terre

Des montagnes les plus hautes
Aux crevasses les plus profondes,
Modeste dans ton omniprésence.
L’humilité est ta valeur,
Brune est ta couleur,
Matrice tranquille dans sa fermeté.
De tes entrailles ressortent les sources,
Les métaux, les minerais : la fertilité.
Ton incommensurable force refoulée
Évolue par soubresauts et tremblements.
Retournant à la poussière,
Recevant à nouveau les germes
Et ainsi renaître dans la gaieté.

XII – L’écharde de métal

Au foyer de la cité sylvestre,
Parallèle à l’Axe du monde,
Son éclat est masqué dans la roche.
La source suintant et se répandant
Nourrit l’Arbre protecteur,
Prévient la main non-désignée.
Pure connaissance et destruction de l’ignorance.
Libérée de son assujettissement minéral,
L’
Épée scintille au clair
Sur le couperet de la balance.
Ineffable est son enseignement,
L’éloquence contre la rhétorique,
Elle possède deux tranchants.

XIII – Le miroir de l’âme

N’ayant pour seul reflet
Que le cours de ses pensées,
Lui, le Chevalier, devra décider
Au nom du monde et de sa destinée.
Un choix est lourd de conséquences,
De n’importe quelle taille et apparence,
Frôlant le courage ou la démence.
Se dérober ne sert à rien,
Sans le Mal, il n’existe pas de Bien,
Attendre, car tout vient à point.
Dès le commencement, il comprendra
Que le plus décisif des combats
Se livre au fin fond de soi.

dimanche 15 juillet 2007

Un 14-Juillet

Le premier 14-Juillet du président haï. Celui-ci avait décidé d'un concert sur le Champ de Mars, suivi d'un feu d'artifice géant d'une demi-heure environ (en concertation avec la mairie de Paris...). Concert géant placé sous le signe de l'Europe.

Toutes les stations de métro étaient fermées autour de la Vieille Dame, Bir-Hakeim incluse. Mon frère et moi nous étions donné rendez-vous à une heure précise, où un de ses amis futur ingénieur devait nous rejoindre. Sorti station Trocadéro (entourée de paniers à salade), je descendis par la rue Benjamin Franklin puis le square Alboni où je venais grossir une foule de badauds. Mon frère me retrouve quelques minutes plus tard, à la jonction du pont Bir-Hakeim et de l'Allée des Cygnes, et il tâcha de me prévenir : son ami était un sarkozyste pure souche et se prénommait... Nicolas.

Un petit mot sur l'école de mon frère : l'ESTP (pour École Spéciale des Travaux Publics) se situe boulevard Saint-Germain, proche de la station Maubert-Mutualité, coin huppé de la capitale s'il en est (mais il en existe des plus pointus), au cœur du quartier latin. La sélection s'opère par concours et sur dossier. En général, l'ambiance studieuse des classes préparatoires laisse le pas à une décontraction digne des dernières années de médecine. J'ai pu avoir sous les yeux une sorte de bulletin mensuel (ou hebdomadaire ? Peu importe.) où l'on pouvait retrouver des aventures épicées d'étudiants se soulageant au sortir d'une semaine de cours chargée... quand ce n'était pas tous les soirs de la semaine. En l'espèce : « X s'est retrouvé avec la braguette ouverte, et elle n'attirait pas que les mouches ! » ; « Le lendemain, on le retrouvait dans son matelas de vomi » ; « D'après Z, elle n'en était qu'à sa troisième proie de la soirée. Go ahead, babe ! » ; « W a repéré une rousse mignonne à qui il a payé un verre. Il semblerait que ce soit une tactique pour consommer gratis, qu'elle soit coutumière du fait et qu'elle ait un mec ! »

Quatre élèves sur cinq ont voté pour l'actuel président, dans cette école (source : mon agent dans la place), et c'est une estimation optimiste. Une grosse proportion de ces élèves proviennent des lycées les plus recherchés de la capitale (Henri-IV, Carnot, Louis-le-Grand, etc.), publics et privés, notamment ces derniers où sont dispensés des cours de catéchisme intensifs par des pontes d'entreprises françaises ! Certaines jeunes filles se retrouvent même à posséder une photo de l'omniprésident, et à le déclarer attirant (elles ont dû passer à Jean, depuis) ! On croit rêver. L'élite parisienne a donc rendez-vous avec l'ESTP, mais pas seulement elle. Je citerai le cas de ce jeune homme, fils de diplomate qatari, détenant un appartement de 70 m2 boulevard Saint-Germain, et qui retrouvait chaque week-end sa petite amie résidant en Suisse.

L'ami de mon frère (qui garde vaillamment la tête sur les épaules) a donc l'habitude d'évoluer dans ce milieu, du moins y aspire-t-il grandement, puisque vivant tout de même, selon ses dires, à un niveau de richesse moindre. Modeste, avec ça. J'eus l'heureux sentiment de le voir ne pas savoir sur quel pied danser, en ma compagnie. La dégaine que je trimballais accentuait son malaise : cheveux bouclés et pas assez longs pour les retenir, bermuda ringard, Sailor's aux panards et sans chaussettes (sans chaussettes ? Mais quelle idée déplorable de l'hygiène !), une vareuse usée comme il se doit, un tee-shirt délavé, mon vieux sac bleu marine et jaune... (« C'est ça son grand frère ?... » dut-il certainement penser. En censurant.)

J'ignorais la programmation du concert, à l'exception du retour de l'exilé Polnareff ; quand il me cita Tokio Hotel, et que je ne tiquai pas, il s'exclama :
- Quoi ? Tu [je l'ai laissé me tutoyer, pour ne pas gêner mon frère] ne connais pas Tokio Hotel ?
- Tu sais bien, intervint mon frère, on les voit souvent pendant les pubs... Ah mais non, c'est vrai, tu n'as pas la télé.
- Hein ?? Le brave n'en croit pas ses yeux. Tu n'as pas la télé ?? Mais qu'est-ce que tu fais, pour t'occuper ?...
Il ne sait pas que c'est une question qui fâche ; je passe l'éponge.
- Je lis, j'écris, je gratouille une guitare, je regarde des films, j'écoute de la musique...
- Attends attends, tu regardes des films ? T'as un PC alors. Et t'as pas Internet ?
- Non. J'y allais une fois par semaine à l'IUFM, tout au plus.
- Pas internet... Je sais pas comment tu fais pour tenir... Moi j'pourrais pas ! lance-t-il, un brin désemparé.
- Les hommes ont bien vécu sans, auparavant ; je ne vois pas pour quelle raison on ne pourrait pas s'en passer aujourd'hui.
- T'as un téléphone portable ?... Au moins ? interroge-t-il. Presque résigné, le bougre.
J'exhibe le fil à la patte.
- Quand même ! fait-il souriant, heureux d'avoir sous les yeux un objet de la civilisation moderne.
- Si je le pouvais, je le jetterai dans une benne à ordures.
Mais il ne m'écoutait plus, parti dans une discussion avec mon frère sur des considérations de stage.

Nous étions assis, la même posture qu'une foule considérable de gens, sous la Tour Eiffel, en face du Trocadéro. Difficile d'avoir une meilleure vue pour le feu d'artifice. A l'autre bout du potager le concert battait son plein, des greluches pantomimes succédaient à des abrutis gesticulants (je voyais la scène, pourtant très loin, mais les énormes écrans sur les côtés étaient bienvenus pour suivre). Soudain, un mur sonore de cris de jeunes filles au bord de l'orgasme nous parvint, phénomène impressionnant : il s'agissait du groupe cité plus haut ; je ne voyais sur l'écran qu'un individu maquillé, au sexe indéterminé, à la crinière ornée de mèches.
- C'est une fille qui chante ? demandai-je, interloqué. Mon frère rit.
- Non, c'est un mec ! Hahaha !
- Et quel âge il a ?
- Dix-sept ou dix-huit, pas plus, coupe Nicolas. Il paraît que le fils à Sarko adore ce groupe !
- Un gage de qualité, à n'en pas douter ! grinçai-je. Mon frère rigola avec moi ; l'autre un peu, jaune.
Une chanson commença, et de toute évidence la mélodie était connue de la foule. Nicolas fredonnait, et apercevant ma mine impassible :
- Tu connais vraiment pas ? Incroyable...
- C'est loin de valoir Led Zeppelin en concert, par exemple.
- Ouais, c'est clair... répond-il, pas très sûr, en se détournant. Pas de doute, il avait pitié de moi ; j'étais vierge musicalement du groupe allemand ! Pauvre de moi, en somme.

Polnareff conclut le concert par « On ira tous au paradis » (mais ceux du XVIe arrondissement d'abord !). Il devait être aux alentours de 23 h. Sachant que le spectacle serait accompagné de musiques de bandes originales, je proposai à Nicolas de deviner celles qui seraient diffusées. Il accepta. Je lui donnai une leçon ; avec un certain plaisir, j'avoue.
- C'est Tigre et Dragon ! Je reconnais !
- Non, c'est le thème de In the mood for love, le film de Wong Kar-wai.
Le feu d'artifice fut splendide, en accord (« Ah ! Et ça c'est Björk et la chanson de Dancer in the Dark ; magnifique. ») avec la bande-son. Par exemple, pour le thème de Star Wars (que Nicolas reconnut), les pétards se déployèrent en galaxie argentée. Superbe idée. Un final à vous anéantir les tympans, et la Tour Eiffel scintilla, comme d'habitude.

Les officiels dénombrèrent 600 000 personnes ; ce que je peux en dire, c'est qu'il y avait du monde, comme je n'en avais jamais vu auparavant (tout autre chose que les manifestations du centre-ville de Quimper). Le brillant projet de fermer les stations de transport en commun n'arrangea pas l'évacuation. Je ne suivais pas mon frère qui m'invitait à passer la nuit, chez lui ; rétrospectivement, c'eut été la meilleure solution.

Pour faire simple : arrivé station Javel, les lignes du réseau parisien fermaient. Avec le portable et sa batterie à plat, me voilà bloqué en plein Paris. Je ne vois qu'une seule issue pour rallier Melun : la Gare de Lyon. Une dizaine de kilomètres de marche sur la rive gauche ; mes Sailor's m'égratignèrent profondément l'arrière du pied au bas des tendons d'Achille ; un véhicule transportait les Vélib devant être mis en circulation le matin même ; sur le port en bordure du Jardin des Plantes, des inconscients jouaient avec des fusées, tenues à la main. Mon salut avait un nom : le Noctilien ; j'étais bien naïf de croire que personne ne le prendrait...

Il est 5 h 30, je suis presque chez moi, à Melun. Tandis que je traverse le Pont Jeanne-d'Arc arrive sur ma droite une bande de jeunes passablement éméchés. Sentant le coup venir, j'accélère le pas et fait mine de ne pas y faire attention : plan risqué, il n'y a pas l'ombre d'une mouche en sus de nous... Je passe devant les ivrognes, qui sont à une vingtaine de mètres, et l'un d'entre eux, immanquablement, s'adresse à moi en termes injurieux. Je continue ma route (la porte d'entrée n'est qu'à une centaine de mètres), ils ne me suivent pas, mais l'autre décérébré tente mordicus d'attirer mon attention. Je me retourne à l'instant où le mur de l'immeuble du quai bouchait sa vue. Il crie sur-le-champ :
- Eh ! Il m'a regardé ! On le chope !
Personne ne l'a suivi, fort heureusement. Heureux monde où un simple regard suffit comme prétexte pour se faire passer à tabac.

Pas fâché, le lendemain je quittais l'Île-de-France. Mon frère et moi avions pris chacun un billet en première classe (pour une fois), mais le bilan fut le même pour tout le monde. Lorsque la foudre frappa la caténaire, quelque part entre Le Mans et Rennes, le retour en Bretagne prit douze heures au lieu des quatre et demi initiales, et une allure rocambolesque...
[17/07/08]

lundi 9 juillet 2007

En attendant un article (qui n'en sera pas vraiment un) le 25 juillet prochain, dans l'optique où je serai chez mes parents, je mets en veille ce message. Je ne vais pas pouvoir accéder librement à l'Internet de sitôt.
Ouais, ce sera un peu spécial le 25 juillet, mis à part la sortie du film des Simpson. Je posterai ici quelque chose qui vous permettra de vous immerger (pendant que je vous maintiendrai la tête sous l'eau) dans cet univers embrouillé et... et... euh, claustrophobe (?) que représente ma cosmogonie. Bon, vous verrez bien. Ce sera juste ce monde tel que je le concevais en première année de Faculté. Ou deuxième ? Non, je crois première. Je n'ai pas les documents sous les yeux, m'emm...bêtez pas.
A bientôt, j'espère, en BZH !

mercredi 20 juin 2007

Voici un texte que j'ai rédigé dans le cadre de l'atelier d'écriture du festival de l'Astrolabe, au début du mois. Il s'agissait, sous la conduite de Régine Detambel, écrivaine d'une renommée certaine (inconnue pour moi jusqu'à cette rencontre ; ma prof de français la connaît), de composer un texte, qu'importe la forme, sur ce que nous allions voir un vendredi soir dans le centre de cette bonne vieille ville de Melun.
Le but étant de le lire tel quel, devant public, au retour de la promenade ou le lendemain matin.
J'explique un peu comment l'inspiration m'est apparue : je m'étais installé sur la terrasse d'un bar (depuis le temps) et j'avais en ligne de mire la route qui découpe en droite ligne la ville. Je me suis alors rappellé ce que mon prof d'histoire nous avait dit, que cette route était le Decumanus hérité des Romains. Je me suis mis à imaginer ce que l'on aurait pu voir sur les trottoirs pour animer tout ça, le rendre plus vivant au niveau humain.

« Ce long ruban de crasse qui coupe la ville en deux. Les humains lèguent aux humains leurs feuilles de routes personnelles et impersonnelles. Ne dit-on pas que la littérature permet de connaître des gens que l'on ne rencontrera jamais ? Il en va de même pour ce pont de bitume enjambant la Seine, fleuve, qui d'ailleurs coupe elle-même la ville en deux. Intéressant. L'homme va tout droit et la nature suit son cours. Probablement une question de perspective.
Quelle tache ce pont, quand même. Et je n'évoque pas l'église et la rue. Ils ne vont pas les démolir pour ma pomme. Sans compter les arbres qui longent la route. Non pas que je veuille les couper – j'adore les arbres, les meilleurs amis de l'homme après les mouches – mais il existe bien mieux pour insinuer une vie sur les trottoirs. Les arbres, je les réserverais aux bords de la Seine. Et au lieu de dissimuler les édifices immondes et dégueulasses, car ici c'est bien le but de ces arbres, je les rendrais davantage attrayant en les embellissant de vie humaine.
Comment ? me demanderez-vous. Eh bien, ma foi, au lieu de baisser la tête pour ne pas remarquer les murs squameux, les volets branlants ou les rideaux des années trente, j'inviterai à la lever afin que soudain vous vous aperceviez qu'un café littéraire vient d'ouvrir de ce côté de la rue, que tout à coup, un poète déclame à l'improviste à propos de l'effervescence des bulles de gaz dans le demi, ou alors que là-bas deux membres d'une famille se rencontrent avec force embrassade et s'invitent à rester bavarder autour d'un verre. Et pourquoi pas, soyons fou, un tramway bringuebalant sur ses rails et nous saluant d'un son de cloche.
Mais... non. Tout ce passage, je l'ai fantasmé, et agrémenté de quelques clichés. Je devrais me présenter aux municipales.
Ce que j'ai vu, c'est bien autre chose. Ce fut un drapeau tricolore planté sur un balcon, peut-être une relique de la campagne présidentielle ; ce fut une fille me jetant un regard dédaigneux alors que je composais modestement sur un banc ; ce fut des légions de cabines hermétiques à quatre roues, dont parfois un de leurs chauffeurs utilisant un portable pour communiquer avec l'extérieur...
Un couple enlacé débouche à l'angle de la rue, se promenant, et l'homme tient une petite caméra pour se filmer ensemble afin, j'imagine, d'immortaliser un souvenir de ce moment heureux. Usons de la vidéo pour conserver nos instants de parfait amour. De la mémoire artificielle pour sauvegarder nos sentiments. L'écrit a bien tué la tradition orale de mémoire, pourquoi la technologie n'assassinerait-elle pas les émotions ?
Malgré tout, il y avait des gens. C'est mieux que rien. Et des couples, ça promet. Des pigeons aussi. De la vie humaine, en quelque sorte. Traitez-moi de cynique si vous le souhaitez. »

Il est loin d'être parfait, il y aurait quelque petites retouches à réaliser, mais je le laisse comme ça, à l'état brut. Je suis plutôt content de moi, pour un texte écrit en une heure et demie. Et puis c'était mon premier atelier d'écriture. Drôle de concept à ce propos, je ne pense pas vraiment approuver cet onanisme mental forcé. Un premier jet (désolé) étant rarement satisfaisant, pour ainsi dire jamais, je l'ai un peu retouché entre mon retour chez moi et le rendez-vous du lendemain matin (deux-trois tournures et trois-quatre mots).
Un homme d'âge mûr avait écrit un long texte largement retouché (lui non plus n'aimait pas ne pas retoucher un premier essai) et au style volontairement littéraire, avec une volonté de recherche. On sentait l'expérience, même si quelques passages m'avaient ennuyé (ils me paraissaient répétitifs, parfois pesants), sans vouloir m'instituer critique accompli. Une fois mon texte lu, Mme Detambel a noté la phrase “L'homme va tout droit et la nature suit son cours.” comme saillante, tandis que ma voisine de droite s'est enthousiasmé sur ces deux textes, en affirmant qu'en les lisant, elle aurait ressenti beaucoup de plaisir, mais un plaisir différent d'un texte à l'autre. Sur le texte du monsieur, elle aurait savouré les mots savants parsemant les phrases ; quant à mon texte, elle aurait adoré le style. Que dois-je comprendre ? Que je ne sais pas écrire des phrases littéraires ?? Un style particulier doit-il s'affranchir de subtilités littéraires ? Ai-je sacrifié la subtilité pour mon style ? Parce que je suis jeune, on devrait me coller une étiquette “perfectible” ? Bien sûr que non ! Sur l'instant, j'avoue que ça m'a un peu vexé. J'ai pris sur moi. J'accepte ce point de vue, ça ne m'a que plus renforcé dans l'envie de percer dans le milieu littéraire (tôt ou tard, même posthume !).
La réflexion générale s'est alors décalé sur la possibilité de déterminer l'âge d'un écrivain à travers ses textes. Je ne crois pas que cela soit possible, dans une certaine mesure ; ce que je pense, c'est qu'une expérience des livres est largement plus repérable, une culture littéraire est autrement plus perceptible que l'âge supposé du capitaine. Par rapport à ce monsieur, qui était à la retraite me semble-t-il, son bagage culturel était incomparablement plus étendu que le mien. C'est à ce niveau que cela se joue, indiscutablement. J'avais compris que la comparaison de nos deux textes était fallacieuse et absurde.
Voilà bien un domaine, la culture littéraire, dont mon principal regret est de n'avoir pas réalisé son importance plus tôt. Je peste devant le temps perdu, mais cela ne me le rendra pas, alors autant avancer.

mercredi 30 mai 2007

Courrier récemment dépêché à un guichet breton d'une banque :

Madame, monsieur,
je souhaite par cette présente lettre effectuer deux transferts qu'il est impossible de mettre en oeuvre dans quelque agence de Caisse d'Epargne Ile-de-France que ce soit. En effet, possédant un compte (au minimum) dans chacune des deux régions, il me faut de toute évidence recourir par fax ou courrier pour transvaser l'argent d'un compte d'une région à l'autre, puisque apparemment la barrière informatique, ou langagière, ou que sais-je encore, ne permet de vous comprendre entre agences de régions de France !
Est-ce bien sérieux ?
On se croirait dans le Tiers-monde. J'ignore pourquoi, mais j'ai l'impression qu'il serait plus facile de faire parvenir de l'argent d'un compte des Bahamas ou de la Principauté de Monaco.
Ne le prenez pas personnellement, c'est l'éthique de la banque que je remets en cause. Si tant est qu'un établissement banquier ait une éthique ; la question se pose.
[Passage relatif à mes transferts de thunes]
Bien à vous.
Y.H.

*

Tout à fait autre chose, à présent :

- Vas-y fiston, pose-moi tes questions.

- Est-ce qu'on peut mourir en léchant une tapette à mouches ?
La musique actuelle est-elle aussi nulle qu'elle en a l'air ?
Comment Dieu peut-il dormir quand les gens crèvent de faim ?
Faut-il changer de trottoir quand on croise quelqu'un avec un tee-shirt « papy sexy » ?
L'insecticide aux senteurs de pins est-il une si bonne idée ?
A quoi pense les filles qui portent du vernis à ongles noir ?
Si les animaux n'ont pas d'âme, où Fido passera-t-il l'éternité ?
Peut-on attraper le saturnisme en se piquant avec un crayon à mine de plomb ?
Y a-t-il de l'amour chez les amibes ?
Qu'y a-t-il de plus effrayant qu'un récital de poésie ?
Si tu votes pour la droite, deviens-tu complice de ses crimes ?
Les animaux en baudruche sont-ils un art ?
Alors ?

...

- C'est l'heure de te coucher.

LIFE IN HELL – Matt Groening

vendredi 18 mai 2007

_L'eau d'un fleuve à de cela de merveilleux que de quelque endroit qu'on la regarde, le soleil nous renvoie son éclat.

*

_J'ai assisté à un spectacle navrant, mardi matin.
_Un canard plongeant d'un coin d'azur indéterminé piqua directement vers une cane qui pataugeait sur une rivière. Sentant soudainement le danger, celle-ci battit des ailes avec la ferme intention de ne pas se soumettre. Un autre canard, stoïque, qui flottait autour d'elle, ne parut pas comprendre immédiatement la situation.
_Le volatile venu des cieux s'écrasa tout à côté de la femelle, et s'engagea alors une brève course-poursuite sur les flots et dans les airs. Le couple disparut à ma vue un court instant lorsqu'il atterrit, caché par une plantation. Le troisième oiseau les rejoignit, benêt.
_Mais les protestations sonores qui emplissaient l'espace ne me permettait plus de douter de l'issue de ce brutal événement : la cane se faisait outrageusement violer. Cette perspective me glaça d'effroi malgré moi, et l'avoir sous les yeux fut pire encore : la cane, littéralement plaquée au sol par le poids de son mâle conquérant, se plaignait bruyamment de chaque coup de butoir de son agresseur. Celui-ci, pour mieux s'assurer de la plénitude de ce bref moment de jouissance, la maintenait en coinçant par son bec la nuque de sa victime.
_Tandis que je marchai, les plaintes se firent plus faibles, comme résignées par la culbute forcée. Une mémé que je croisai regardait, incrédule, le monstrueux crime en cours. Une femme, à la moue un peu écoeurée, se plaça entre sa fille et les exhibitionnistes.
_Le troisième canard, lui, s'était placé au niveau de la tête de la cane, et semblait soit impuissant, soit avide de prendre la relève.
_Bêtes répugnantes.

*

_On n'arrête jamais vraiment d'apprendre à se cultiver. On n'arrête jamais vraiment d'apprendre à aimer. On n'arrête jamais d'apprendre.

*

Quand j'y pense, je n'ai jamais vu d'hirondelle autrement qu'en rase-motte au-dessus des champs ou de l'eau. De véritables fusées dont le décollage m'aura été dissimulé.

*

_
La loi de la jungle renvoie à deux images. La première, c'est celle de l'anarchie. En effet, la jungle par définition représente la nature, la physis (« fussiss ») en grec ancien, qui s'oppose systématiquement au nomos, la loi, c'est-à-dire la culture. L'expression première qui se compose de deux termes antinomiques nous paraît dans ce cas oxymoresque. Cela reviendrait à dire, par exemples, la lumière de la nuit, ou bien la probité de la politique. La jungle est un fouillis perpétuel, un désordre qui n'a pas à être ordonné sous peine de perdre cette appellation de jungle. Une loi de la jungle n'a pas lieu d'être. L'anarchie de la jungle surpassera toujours la loi.
_La seconde image va plus avant : c'est la loi du plus fort. La jungle est un endroit où l'on ne survit que difficilement, qui possède un réseau trophique d'une densité inouïe (les récifs coraliens sont tout aussi riches, l'autre point commun étant leurs prochaines disparitions. Petite parenthèse), et celui qui s'adaptera le mieux, le plus vite, avec un poil de fesse de chance pourra s'en tirer. Plus ou moins longtemps. Il sera le plus fort dans un environnement anarchique. Serait-ce réellement un raccourci audacieux l'affirmation que le monde capitaliste dans lequel nous tentons de vivre n'est autre qu'une jungle d'où émergent les plus puissants ? Le capitalisme se nourrit d'anarchie, aussi étonnant cela peut-il paraître. D'où la volonté légitime de l'entreprise à s'infiltrer dans la sphère politique.

lundi 23 avril 2007

_J'ai la tête en bouillie, après la vague géante d'images bêtifiantes de 300.
_La recette américaine pour créer des films qui « cartonnent » : prenez un événement historique de quelconque importance mais faire en sorte qu'il devienne un intense moment de [décision capitale pour une part non négligeable de l'humanité/l'impuissance éternellede l'homme face aux éléments] ; saupoudrez de valeurs morales qui feront mouche à tous les points du globe (bien qu'il faille y avoir des perdants et des grincheux) ; agrémentez de scènes tendres/fesses et nichons/preuves de l'absence de raison de l'ennemi et de son penchant cruellement et gratuitement machiavélique ; laissez faisander ; rajoutez de la musique symphonique (avec chœurs, de préférence, afin d'accroître le rythme cardiaque et le taux d'adrénaline) ; servez à température ambiante.
_Exemples de porridge : la bouse que j'ai mentionnée plus haut, Pearl Harbor, Gladiator, La Passion du Christ, 11-Septembre, d'autres dont le nom m'échappe, mais vous aviez deviné que la liste est très loin d'être exhaustive.
_Comme le disait un prof de fac, le cinéma produit des films de notre temps. L'exemple perspicace qu'il avait cité était King Kong, l'original sorti en 1933, c'est-à-dire peu d'années après la récession mondiale dû au plantage des bourses. Le symbole du primate géant dominant l'Empire State Building est fort : il signifie la peur profonde de l'homme de retourner à son état primitif. Il veut dire : n'oubliez pas d'où vous venez.
_C'était complètement d'actualité, et ça l'est toujours, d'ailleurs. (Hans Zimmer relève le niveau du film avec sa composition de génie),


_Je me souviens : au CM2, nous avions eu droit au passage éclair d'une assistante toute fraîchement sortie du moule de l'IUFM. Sous-entendu : animée des directives pédagogiques de l'institut.
_« Pour notre prochaine rencontre, je voudrais que vous me fassiez un dessin de vous tel que vous vous voyez. » Parfait, mam'zelle.
_Une idée m'était venue. Dans mon esprit d'alors, je ne percevais cette idée que comme me permettant de me distinguer des autres, car je ne voulais pas me croquer en personnage de fil de fer avec un gros cercle en guise de crâne. J'avais tenté de m'échapper de ce schéma auquel elle comptait nous voir « travailler » : ça n'a pas raté.
_Dans la hall d'entrée, une glace recouvrait le mur séparant la porte de la chambre de mes parents à une autre menant au salon. Un après-midi, probablement le week-end précédant « notre prochaine rencontre », j'ai pris une chaise, je me suis installé devant le miroir muni d'une feuille sur support rigide et d'un crayon à mine. Ma mère avait trouvé cette démarche amusante. Elle se trouvait dans la cuisine, à ma droite, vaquant à ses affaires. Il avait fait gris, ce jour-là, la lumière semblait morne dans le couloir.
_Et je me suis dessiné tel que je me suis vu : une jambe croisée sur l'autre, en train de dessiner. Certes, j'avais l'air quelque peu recroquevillé sur ma feuille de travail, l'absence de couleurs rendait le tout relativement terne, mais j'étais sûr d'une chose, en mon for intérieur, aucun élève de ma classe n'avait eu cette idée en tête. Et je dois avouer que je n'étais pas mécontent de moi, même si ce sentiment se mélangeait avec la crainte de la réaction de l'assistante envers mon dessin non conventionnel...
_Crainte qui s'accentua en classe. L'assistante passait dans les rangs, donnant son verdict, un sourire constant aux lèvres allant du charmant à l'enthousiaste. Je dissimulais mon résultat sans vraiment le cacher, croyant que les rires jaillissant de tous côtés avaient pour objet de dérision celui-ci. Je méprise tellement cette bonne femme aujourd'hui...
_Lorsqu'elle se tint à mon niveau, je vis sa grimace de circonstance se changer en une moue de dégoût à peine retenue. Elle se reprit vite, toutefois.
_« C'est, heu, bien... Mais j'aimerais que tu me le refasses pour la prochaine fois comme tes copains l'on fait. »
_Je ne l'ai pas refait. De toute façon, elle ne l'a jamais redemandé.
_Pauvre conne.


_Je ne peux pas ne pas raconter ça !
_Le 22 avril. Je me rends vers 13h30 à mon bureau de vote, installé dans dans un groupe scolaire de Melun. J'entre dans la salle, jette un coup d'œil, remarque non sans surprise que c'est le maire qui tient l'urne de mon bureau. Je demande à une dame ce qu'il faut faire (apparemment, ce n'est pas la même démarche qu'à Pleug') ; je récupère les douze bulletins et une enveloppe. Je m'enferme dans l'isoloir, et vote blanc.
_Je ressors de l'isoloir, m'avance vers le bureau : la dame assise en face de moi prend mes papiers, me dit que ma carte d'électeur n'est pas signée ; je m'exécute. Ma carte circule, je me place devant l'urne.
_A ce moment, je saisis la poignée pour ouvrir la boîte, je glisse tout naturellement mon enveloppe et ferme l'urne !
_Cinq secondes de silence.
_Le maire me regarde, incrédule mais amusé :
_- Normalement, c'était à moi de le faire.
_Je le regarde, abasourdi.
_- C'est pas vrai...
_Grand sourire.
_- Peut-être serez-vous assesseur à ma place, plus tard !
_Je bredouille des excuses, signe, récupère ma carte tamponnée, lance une salutation et m'en vais !
_Impayable !

mercredi 4 avril 2007

La Revendication Établie de la Vie et de l'Être

Article 0 – Tout constituant de la matière dite vivante ou non, assemblés entre eux de manière complexe mais sensée, dans ce qui est appelé de coutume la Nature, ne peut être dégradée de manière irraisonnée par les êtres vivants qui en ont conscience.

Chapitre Premier – Graduation du vivant
Article Premier – Utiliser de la matière minérale ou/et organique pour son développement ; respirer ; se mouvoir : si au moins deux de ces trois notions sont remplies, tout corps est alors doué de vie.
Article 2 – Se reproduire ; posséder un moyen de communication et de compréhension entre individus de même espèce ; être autonome : si au moins deux de ces trois notions sont effectives, considérant la condition de l'article premier validée, tout corps doué de vie est alors un être vivant.
Article 3 – Raisonner ; s'imaginer dans le temps ; produire une écriture : si au moins deux de ces trois notions sont avérées, appuyées par la validation des conditions prescrites dans les articles premier et deuxième, ainsi que l'acceptation de l'article zéro, tout être vivant est alors doué de conscience.
Article 4 – Il ne faut pas considérer ces trois échelons comme le sommet évolutif du vivant. L'évolution peut apparaître régressive ou progressive. A défaut d'une autre connaissance du vivant hors de notre planète, et dans une attente de la représentation totale sur celle-ci, il semble pour le moment raisonnable de s'appuyer sur le constat présent.

Chapitre II – La médiation
Article 5 – Tout être vivant doué de conscience a le devoir d'être vigilant envers la Nature, qui lui a permis d'atteindre ce niveau de raison. La liberté le caractérisant ne doit empiéter en aucune manière sur celle de tout autre être vivant, doué de conscience ou non.
Article 6 - La notion du vivant doit être enseignée de génération en génération par les êtres vivants doués de conscience, non parce que leur supériorité sur les autres êtres vivants n'est que toute relative et d'une objectivité nulle, mais parce que leur instinct de conservation de leur milieu et de leur environnement peut s'être considérablement émoussé et avoir été en grande partie englouti dans l'inconscient général. Il ira donc de leur responsabilité de préserver la Nature de toute maltraitance dont ils seraient les auteurs.
Article 7 – La pédagogie de la préservation et de la plénitude de la Nature se doit d'être effectuée dans un lieu totalement indépendant de toute influence mercantiliste, religieuse, nationaliste.

Chapitre III - L'éthique
Article 8 – Aucun être vivant doué de conscience ne peut se permettre d'affaiblir une population d'êtres vivants à un nombre proche de l'extinction ou de l'appauvrissement génétique sous les prétextes suivants : nuisance ; chasse et exploitation abusives et intensives accompagnées ou non de gaspillage ; recherches scientifiques ; destruction de l'habitat naturel (déforestation, eutrophisation, incendie volontaire, tout type de pollution) en vue d'implantations massives artificielles ou de plantations inappropriées ; eugénisme.
Article 9 – Tout être vivant doué de conscience peut se permettre de procéder à l'apprivoisement d'autres êtres vivants, si cela ne contrevient pas à l'article 7 du présent accord.
Article 10 – Tout être vivant doué de conscience, suite à l'abandon d'un espace, doit dépolluer, démolir et recycler, nettoyer et contribuer à réimplanter un écosystème viable pour payer sa dette envers la Nature.
Article 11 – Tout être vivant doué de conscience a de ce fait le devoir de contribuer à la sauvegarde de la Nature, dans la mesure où cela ne nuit pas à son existence propre et qu'il ne l'entreprend pas à l'excès. Les positions extrêmes ainsi que les arguties hypocrites ne paieront jamais.

Joyeux anniversaire, hahaha !

Bah oui, 4 ans aujourd'hui ! Qui l'aurait cru ? L'année dernière encore je souhaitais t'arrêter, mais Wonderwoman (de Roudouallec) est venu à ta rescousse, cher journal !
Voyons où moi j'en suis, depuis un an. Affirmer que rien n'a changé serait mentir effrontément, d'une part me voilà habitant une ville de la banlieue parisienne proche, d'autre part j'étudie dans l'antichambre de l'enfer du primaire. Que d'mande le peuple ?

lundi 26 mars 2007

Matinée de merde

« ...Il est 7 heures sur Evasion FM ! Tout de suite, Alain Souchon... »

Bordel de Diou, j'ai beau régler cette damnée radio tous les soirs sur France Info, elle me refait la même blague. Salope !

Je sors de mon plumard. Ai mal au cul : une latte m'a salement fouetté cette nuit quand elle a pété. J'regarde mes fesses : un énorme hématome couleur bleu agathe. Ah ouais, comment je vais m'assoir aujourd'hui ? J'peux plus m'gratter les fesses sans que ça m'arrache une grimace. Quelle guigne ! Ma dignité de mec s'en trouve affectée.

Ma conne de voisine s'anime au-dessus, faisant geindre le plancher qui ne supporte plus son poids de mammouth.

Je bourrine dans le mur.

« T'as pas fini ton boxon, grognasse ??? » que j'lui hurle. J'devrais lui dire de faire une cure pour dégonfler sa bouée, mais je sais rester décent. On emmerde pas les obèses, seulement les gros.
Après un p'tit dèj' au cours duquel j'me suis renversé dessus le verre de jus d'orange, plus de chaussettes propres. J'regarde celles qui restent, aux teintes multiples de brun, et en choisit deux au pif. Quelques miasmes s'en échappent. Qui a dit qu'j'étais pas altruiste ?

Dix minutes de décrassage d'oreilles plus tard (j'aurais jamais cru qu'un conduit auditif puisse recueillir autant de miel), me voilà fin prêt. Mon ouïe rénovée me permet d'entendre ma voisine qui désescalade l'escalier en soufflant bruyamment.

J'attends un moment, le temps qu'elle reprenne sa respiration en bas de l'escalier... Enfin, surtout pour m'éviter sa vue, puis je sors de mon immeuble.

Melun est toujours aussi dégueulasse. On a tout le temps le regard deux mètres sur le sol devant soi, pour éviter de patauger dans les ruisselets de pisse. Quand on croise un rat, il vaut mieux s'en écarter ostensiblement, pour deux raisons : leur taille, et les microbes qu'ils trimballent.

(Bon, ça m'avait défoulé, dans le temps, d'écrire ça. Alors je le place ici. [21/08/08])
(Après réflexion, j'ajoute que ma voisine du dessus n'était pas du tout grosse, mais que pour une femme comme elle, elle faisait énormément de bruit ; c'est pour cela que je la compare à un mammouth. [25/08/08])

lundi 12 mars 2007

_Il faut être hypocrite pour ne pas s'apercevoir de l'attrait puissant qu'exerce (et a exercé) Paris sur la vie française. Certes, je commence par une banalité. En feuilletant le Guide Vert à la recherche de musées à visiter (gratuitement, hein, je n'vais pas cracher dans le bouillon... de culture), je ne pouvais que m'arrêter sur les innombrables anecdotes dont regorge cette ville. En tant que capitale cosmopolite, quoi de plus indéniable.
_Quand on y marche et qu'on n'a pas l'habitude d'être entouré de monuments tous plus originaux les uns que les autres, on a de quoi avoir la tête qui tourne. La somptuosité des coupoles frappe davantage encore avec la promiscuité miséreuse du pavé. A ma grande horreur (je m'y étais préparé, mais heureusement je ne m'y ferais jamais), le singulier épars côtoie la pluralité gratinée.
_J'aurais poussé ma curiosité jusqu'au canal Saint-Martin si ma conscience ne m'avait pas aggrippé par le col de ma chemise en me houspillant : « Tu te crois dans un zoo, Yohann ? Un parc à thèmes ? C'est un spectacle vivant qui t'intéresses ? Prends garde, ce sont des êtres humains brisés que tu vas reluquer. Si tu y vas uniquement dans le but d'épancher un appétit vicieux suscité par des médias prompts au sensationnel, tu ne m'éveilleras plus qu'un sombre dégoût teinté de mépris. » J'aurais pu me répliquer ainsi : « Bof ! Ce n'était de toute façon pas sur mon chemin. » Mais si ce trait de cynisme rampant m'avait été décoché, je me serais instinctivement mis une gifle.
_Je tenais la rampe du métro de la ligne 1 qui a la particularité de ne pas avoir les wagons cloisonnés, et je repensais à tout ça en regardant vaguement les personnes d'un côté et de l'autre. Des faces grises et fermées à l'instar de façades d'immeubles délavées m'environnent. Une phrase jaillit spontanément, tirée d'un de mes cours de psychologie : « Notre société fonde de l'inhumain. » J'émerge de ma torpeur comme si on m'avait pincé un nerf et lentement, discrètement, j'observe que les corps des passagers se meuvent en parfaite synchronisation tandis que le métro bringuebalant suit son chemin tracé. J'en viendrais presque à croire que cette population ne s'accorde que sur les cahots du train souterrain.

*
_« Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? » Lamartine
_Sans le cerveau et les cellules spécifiques qui le composent, nous ne pourrions être ce que nous sommes. Nous serions des « légumes », en train de « végéter ». La métaphore végétale n'est pas le fruit du hasard. L'œuf représente fondamentalement la même chose qu'un arbre : c'est un agglomérat de cellules, et ce paquet vit. Une cellule vit, sans quoi elle ne se différencierait pas de la matière minérale. Un protozoaire est tout ce qu'il y a de plus vivant (et potentiellement immortel !). Par conséquent un amas pluricellulaire vit également. A partir de quel instant peut-on affirmer que la cellule- œuf possède une âme (l'éjectant de ce fait du monde inanimé au sens végétal) et qu'elle accède au rang d'animal ?
_Dans le Timée, Platon affirme que l'homme possède bien une âme, mais qu'il existe aussi une « âme du monde », dont chaque âme particulière en est le reflet. En résumé, cette âme du monde est une anima movens, que c'est grâce à elle que tournent les sphères célestes et que la vie s'est répandue sur Terre. Je ne vais retenir que l'idée de dynamique interne : en effet, peut-on appliquer ceci au cerveau ? Serait-ce dès qu'un mouvement synaptique interne se crée, que la dynamo électrique des neurones s'enclenche (ce qui revient au même), que l'on peut évoquer la naissance d'une activité psychique, c'est-à-dire une âme ?
_
J'aime bien cette « âme du monde » de Platon dont proviendrait chacune des nôtres. La Terre serait un super-organisme plurianimé. Entre parenthèses, pas sûr que l'être humain veuille partager quoi que ce soit avec une autre espèce douée de conscience. Cela m'a rappelé l'évolution de l'humanité qu'avait imaginé Asimov dans Fondation Foudroyée et Terre et Fondation (Avis aux amateurs ! Sachez qu'il est préférable de lire auparavant les premières parties du cycle...). C'est une conception à tendance animiste, ce qui signifie que l'on attribue une âme, même minime, à tout ce qui compose la planète, même les pierres. Je ne vais pas jusqu'à ce point, je me contente d'estimer le vivant comme un présent indigne de nous.
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Je ne comprends pas le prétexte de la recherche scientifique pour pouvoir chasser la baleine. Je hais le Japon, la Norvège, l'Islande, le Canada (et les autres pays criminels) pour ça. Quelles recherches scientifiques ? Quand on tue une centaine de baleines, n'en a-t-on pas déjà assez avec une seule pour l'étudier ? Que veulent étudier ces pays ? Un phénomène d'extinction d'une espèce animale ?
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Bien sûr qu'ils n'en ont rien à faire. Il n'y a aucune étude scientifique dans ce carnage. C'est juste l'estomac qui s'exprime, les poches qui ne sont jamais assez remplies, des tonneaux des Danaïdes mobiles. Lorsque j'entends ces types qui dénient cette vérité, je rentre dans une rage sourde (où trouverait-elle un écho ?), et je me vois en train de tous leur fracasser la figure à coups de poing et les jeter à la baille. Quelle frustration insoutenable ! Que ne donnerais-je pour avoir ces faces ignobles devant moi... C'est dans ce genre d'abus manifeste et flagrant, où toute la fielleuse hypocrisie humaine s'expose à pleine puissance, où j'ai le sentiment que l'on me claque des doigts sous le nez d'un air narquois en totale impunité, que je me sens sortir de ma retraite pacifiste et que j'exècre le genre humain.
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Autant dire souvent.
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De quoi tendre à une inévitable misanthropie.
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_Autant il me semble futile de parler politique, autant je laisse le soin aux autres de magnifier les chefs-d'œuvre littéraire. Pourquoi donc ? L'une ne fait que brasser d'inconstante vétilles, les autres fondent des piliers culturels. Mieux vaut en parler tout court. A ce propos, j'aimerais juste ajouter un mot sur deux auteurs, John Steinbeck et Léon Tolstoï, qui par l'intermédiaire de deux de leurs ouvrages, à savoir A l'est d'Eden et La Guerre et la Paix respectivement, m'ont ouvert les yeux sur le point suivant : le développement d'une humanité réaliste et viable chez les personnages d'un roman est absolument primordial afin de rendre le livre le plus attachant possible. Je le savais déjà, mais ces deux-là m'ont ébloui par leur finesse psychologique hors catégorie. Des exemples à suivre, pas à copier.
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_J'exposai brièvement dans un article précédent la misère qui ornementait les rues de Paris ; Melun n'en est pas exempt, n'a rien à envier à son aînée du Nord. Au lieu de lutter contre la paupérisation grandissante (encore aujourd'hui, j'ai reçu un prospectus des Restos du Coeur), not' bon maire s'attache à embellir superficiellement les rues, à manifester pour créer un détournement autoroutier pour désengorger la ville, à protéger les parterres de fleurs, à rafraîchir quelques façades du centre, à nous faire parvenir nombre de journaux sur sa bonne ville dynamique (dernier en date, Melun Sécurité, document quasi propagandiste sur les bienfaits du tout-sécuritaire), mais pour ce qui est de la misère sociale, niet.
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C'est vraiment malheureux de le dire : on finit par reconnaître les misérables qui y traînent.
_L'un d'entre eux fait peine à voir. J'ignore s'il est réellement un indigent ; ce que je sais par contre c'est qu'il lui faut expressément sa dose de nicotine. On le voit déambuler dans différentes zones de la ville, et pour ma part je l'ai vu : en face de l'entrée de la Poste de la place Saint-Jean, et sur le parvis de l'église Saint-Aspais. C'est d'ailleurs là que je me suis fait alpagué par lui.
_
Je pensais qu'il ne m'avait pas vu, occupé avec quelqu'un d'autre, mais visiblement cette personne ne lui a pas donné satisfaction. D'un bond et d'un cri rauque « Meu-sieur ! Meu-sieur ! », il m'atteint.
- Meu-sieur ! Vous n'au-riez pas une peu-tite cigarette ? me demande-t-il de sa voix traînarde. Le timbre est poussif et eraillé, la gorge étant encombrée par des années de crapotage.
_
Il est encore plus repoussant de près que de loin : quand on l'aperçoit, on s'imagine un homme aux habits de vieillard, au dos en arche de pont, qui s'est égaré hors de chez lui et souhaite qu'on lui vienne en aide. En face de lui... Des miettes de tabac encore coincées entre la peau et l'ongle, qui sont d'un jaune de pus ; des mains sales et rachitiques ; un visage strié de rides, la lèvre inférieure plus avancée et bouffie que l'autre, une patate remplaçant son nez, des yeux retirés et injectés de sang ; des cheveux courts, clairs et plaqués sur le crâne ; un corps ratatiné et nerveux.
- Non, désolé monsieur, je ne fume pas.
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Il détourne alors lentement de moi son regard enfiévré, sans un mot, et observe à la ronde le flot de personnes : « Qui ? »

vendredi 16 février 2007

_Plus je vieillis, plus je doute.
_N'est-on pas censé être plus sûr de soi à mesure que les années passent ? In facto, oui, mais plus sûr de ce que l'on sait déjà, ce qui a tôt fait de nous rendre que davantage ignorants, car les évidences maintiennent et font vivre l'ignorance. Donc, en substance, non, puisqu'à cette ignorance des âges s'ajoute l'élargissement progressif des champs de nos connaissances, nouvelles sources de déséquilibre cognitif.
_J'ai saisi dans un certain sens l'expression « champ des connaissances ». Imaginez-vous un champ à ciel ouvert. Plus vous grandissez, plus le champ fait de même, et plus vous amassez de grains que vous plantez aussitôt. Les épis du savoir sortent de la terre, et lorsque vous avez besoin d'une notion particulière, vous marchez en effleurant de la paume les épis jusqu'à ce que vous saisissiez le bon. Cependant, le champ s'étend sans cesse, et il est forcé que certaines parcelles tombent peu à peu en friches. Il faudrait être omnipotent pour assurer une récolte positive en tous points de notre champ ! C'est une image qui pourrait encore être approfondie.
_J'ignore si le champ, si chacun d'entre eux, possède une surface infinie. Devrait-on l'appeler « plaine des connaissances » ? « Canyon des connaissances » pour les extrémistes de tous poils ?
_Je ferme les parenthèses.
_Le doute freine. On va peut-être moins vite, mais la route est plus sûre. Cela n'empêche pas les accidents. Les saccades finissent par fatiguer, quand même.
_Etrange comme j'ai tenté de rédiger sur plusieurs thèmes sans arriver à un résultat tangible. Je voulais composer sur :
- qu'est-ce qui avait poussé l'homme à se faire manger par un autre (et à se grignoter lui-même !), en Allemagne ;
- le cas d'Ashley, petite fille qui le restera jusqu'à la fin de ses jours après l'ablation de son utérus par ses parents suite au diagnostic d'un médecin (Ashley a 9 ans et possède les mêmes réactions intellectuelles et physiques d'un bébé dans ses premiers mois) : jusqu'où peut aller l'autorité des parents dans ces cas-là ? ;
- cette mode vestimentaire consistant à s'accoutrer de façon à ressembler à un petit militaire en herbe, treillis kaki et tout le barda nécessaire (j'en ai croisé un l'autre jour habillé comme un mec des brigades d'intervention en montagne !). que veulent-ils revendiquer/affirmer/soutenir en s'habillant ainsi ? Se perçoivent-ils plus crânes/en confiance ? De quelle(s) manière(s) considèrent-ils la guerre ?
- une politesse entendue l'autre jour. « Vous allez bien, Mme X ? - Ben oui, il faut bien ! » Il faut bien, oui, sinon je porte tous les maux de la Terre connus et inconnus sur mes frêles épaules. Du concentré d'apitoiement sur soi. Je sais à quel point j'ai pu le pratiquer, souvent sans que je m'en rende compte, mais à l'instant où j'avais entendu cette bonne femme répondre, un frisson de dégoût m'a parcouru l'échine (pour reprendre une formule connue).

_Z'avez vu, c'est quand même difficile de pondre un article ! Les sujets ne manquent pas, ce sont les sujets intéressants qui sont rares ! Vous avez de quoi cogiter avec tout ça.

vendredi 12 janvier 2007

Chabichou en péril

Un reportage de Yohann H. et son équipe

_Une nouvelle branche a vu récemment le jour dans les centres de désintoxication. Suite à une longue investigation au sein de ces établissements, ce fut avec un terrible constat que nous en repartîmes : rien, absolument rien ne peut guérir de cette extravagante addiction.
_Nous voulons évidemment parler du fromage. Cet ingrédient qui autrefois garnissait quantité de mets se voit aujourd'hui attaquer de toutes parts, voire supprimer dans de nombreux restaurants réputés du pays ! On ne va pas s'en plaindre, ce sont les chaînes de restauration rapide qui prennent la raclette de plein fouet.
_L'enquête que nous avons menée a pu conclure qu'à ce produit de basse extraction, il n'est point d'alternative : la création de patchs dits lipidique est un échec retentissant, et un substitutif l'est encore plus de par la nature gustative, olfactive et tactile qui est désespérément unique (malgré la légion de variétés de fromage), au grand dam des familles des intoxiqués.

_La faute au champignon
_Une étude a montré que cette dépendance fromagère démarrait de plus en plus tôt : il n'est pas rare à notre époque d'être témoin d'adolescents en train de meugler au lieu de rire, après ingurgitation manifeste de portions de contrebande. La gangrène blanche s'étend. Et maintenant, qu'en est-il de ces nouveaux-nés que l'on calme à l'aide d'un bout de roquefort ? Le résultat se fera sentir sans tarder, nous préparons une génération d'hallucinés.
_L'État s'est penché sur le sujet, laissant de nombreux laboratoires, INRA et consorts, se livrer à diverses expériences. Et voici ce qu'il en est ressorti : le responsable n'est autre que le champignon. Celui-là même qui enveloppe ces nauséabondes horreurs de croûtes plus poisseuses les unes que les autres, qui donne cette couleur morbide et piqueté au bleu, qui hurle « Mangez-moi ! Mangez-moi ! » à ces pauvres damnés des centres. C'est une lutte vaine, affirmions-nous, car le champignon est indissociable du fromage comme l'est le staphylocoque du furoncle. L'onctuosité du cœur n'a plus lieu d'exister sans le squame, fleuri ou non. D'où l'impossibilité de remplacer le fromage par autre chose en vue de soulager les toxicomanes.
_« Le phénomène prend de plus en plus d'ampleur, s'inquiète le docteur Feta, directeur du plus gros centre de désintoxication fromager de France, basé en Normandie, il viendra un jour – et il est proche – où nous ne pourrons plus accepter personne. Le problème se situe au niveau du temps de sevrage, qui dépasse de beaucoup celui consacré à l'alcool ou à l'héroïne, par exemple. C'est un fait, le fromage se doit d'être considéré comme une drogue dure. »

_La défoliation du bouton de culotte (1)
_Pour illustrer ce propos, nous avons arpenté le centre pour rapporter à nos lecteurs étrangers à ce milieu l'ambiance sordide qui y règne et le quotidien éprouvant du personnel. Le centre est quotidiennement assujetti à de véritables scènes de dépravation : ici, une infirmière se faisant mordre le derrière qu'un fou a confondu avec un rondelet ; plus loin, une femme se débat dans son sommeil, gémissant : « Déchaussez les moines ! Déchaussez les moines ! » Bien sûr, cela caractérise l'aboutissement d'une consommation effrénée de toute une vie.
_« J'essaye de m'accrocher... enfin, de décrocher... Ah !! Vous voyez ce que je veux dire... » s'exprime Kevin*, jeune hospitalisé en proie à des crises de personnalité, changeant brusquement de voix pour éructer une plaisanterie douteuse. Il est affublé d'un tee-shirt où le mot camembert qui y est inscrit voit ses quatre premières lettres écrites en majuscule. « Heureusement, j'ai un public qui semble supporter mes tics... et Tac, Rangers du risque !! » Et de s'excuser de suite, tout penaud. « On dit qu'un dealer ne consomme jamais la marchandise qu'il revend... Pour moi, c'est presque vrai... » Stéphanie* est à la tête d'un trafic d'apéricube dans le centre même, marché crémeux et obscur qui rapporte forcément. Quand on lui demande quelle saveur a le plus de faveur, la réponse fuse : « Au saumon, mon préféré !! »
_Il faut les voir, ces malheureux.

_Tsarcosaque, l'opportuniste ?
_Quelques concitoyens se sont regroupés en différentes associations pour l'intérêt du fromage, comme « Touche pas à mes roblochons » ou la fameuse « Fondue de toi ». D'autres néanmoins n'hésitent pas à rallier une ligne plus dure, comme le BRIE, le Bataillon de Résistance Internationale d'Entremont, qui, comme son nom l'indique, possède son siège à... Melun (2). Cela en réaction au projet de loi du ministre de l'Agriculture intérieure, Mr Tsarcosaque, qui souhaite purement et simplement interdire la vente libre de fromage dans les supermarchés.
_« Comme d'habitude, dès qu'il flaire un bon coup médiatique, Tsarcosaque monte sur ses grands chevaux, déclare hargneusement Esmeralda, membre actif du BRIE. J'ai l'impression qu'il veut faire comme les Américains, ses modèles : nous amener au temps de la Prohibition. Il va détruire une partie de l'identité française ! » « C'est parce que ça ne rapporte rien à l'État ! C'est pas comme le tabac, rajoute Gael, également militant convaincu. Si on interdit le fromage, on doit interdire le tabac ! » Et devant notre mine interrogatrice, il lance sourire aux lèvres l'argument final : « Qu'on fume des clopes ou qu'on mange du frometon, le résultat est le même, on pue de la gueule ! »
_Qu'on se le dise, le débat n'est pas près d'être rafraîchi...


(1) Nom d'un fromage.
(2) Comme tout le monde le sait, le brie a plusieurs villes d'origine, comme Melun, Meaux, ou encore Provins.
* Les prénoms suivis d'un astérisque ont été modifiés afin de garantir l'anonymat des personnes interrogées.

lundi 1 janvier 2007

Je souhaitais vraiment passer mon Jour de l'An à Paris, seul (aussi bizarrement que cela puisse paraître), peut-être pour rencontrer de nouvelles personnes dans un bar... J'ai fantasmé.

C'était sans compter sur cette maudite pluie (un coup des Anglais, à n'en pas douter). Un vrai clavaire, avec les poches de la parka humides, les chaussures qui suintent à chaque pas, la capuche à rabattre sans arrêt... Je suis parti avant même le décompte, tellement la pluie faisait germer un cafard bien senti.

Sur les allées du Champ de Mars rôdaient des vendeurs à la sauvette. Leurs Tour Eiffel miniatures et clignotantes en main, ils abordaient les passants avec une insistance dérangeante. Un groupe d'entre eux formait un barrage de sollicitation pénible, et l'une de ses personnes a probablement prévenu les policiers, car ceux-ci n'ont pas tardé à voler dans les plumes (pour des poulets, c'est ce que l'on appelle la force de l'habitude) des marchands ambulants !

A part ça, un vieil homme qui a raté la marche en sortant du métro, avec un risque avéré d'être transformé en steack. Du retard sur la ligne et un attroupement de rigueur. Un accident de ce type fait partie du quotidien, quand ce n'est pas un suicide réussi, tout comme l'accordéoniste édenté ou l'homme aux cartons J'ai-une-femme-et-cinq-enfants-à-nourrir. La misère ordinaire ; pas de quoi casser trois pattes à un canard. Triste, morne soirée !
[20/07/08]
Oui, ce journal électronique recèle de textes qui sont malgré tout ma propriété. Si vous souhaitez en utiliser un, contactez-moi grâce à l'adresse suivante : sacred.fire.blogspot@gmail.com
Merci !
Yohann ©®™☺☼♥♫≈(2003-2009)