dimanche 15 juillet 2007

Un 14-Juillet

Le premier 14-Juillet du président haï. Celui-ci avait décidé d'un concert sur le Champ de Mars, suivi d'un feu d'artifice géant d'une demi-heure environ (en concertation avec la mairie de Paris...). Concert géant placé sous le signe de l'Europe.

Toutes les stations de métro étaient fermées autour de la Vieille Dame, Bir-Hakeim incluse. Mon frère et moi nous étions donné rendez-vous à une heure précise, où un de ses amis futur ingénieur devait nous rejoindre. Sorti station Trocadéro (entourée de paniers à salade), je descendis par la rue Benjamin Franklin puis le square Alboni où je venais grossir une foule de badauds. Mon frère me retrouve quelques minutes plus tard, à la jonction du pont Bir-Hakeim et de l'Allée des Cygnes, et il tâcha de me prévenir : son ami était un sarkozyste pure souche et se prénommait... Nicolas.

Un petit mot sur l'école de mon frère : l'ESTP (pour École Spéciale des Travaux Publics) se situe boulevard Saint-Germain, proche de la station Maubert-Mutualité, coin huppé de la capitale s'il en est (mais il en existe des plus pointus), au cœur du quartier latin. La sélection s'opère par concours et sur dossier. En général, l'ambiance studieuse des classes préparatoires laisse le pas à une décontraction digne des dernières années de médecine. J'ai pu avoir sous les yeux une sorte de bulletin mensuel (ou hebdomadaire ? Peu importe.) où l'on pouvait retrouver des aventures épicées d'étudiants se soulageant au sortir d'une semaine de cours chargée... quand ce n'était pas tous les soirs de la semaine. En l'espèce : « X s'est retrouvé avec la braguette ouverte, et elle n'attirait pas que les mouches ! » ; « Le lendemain, on le retrouvait dans son matelas de vomi » ; « D'après Z, elle n'en était qu'à sa troisième proie de la soirée. Go ahead, babe ! » ; « W a repéré une rousse mignonne à qui il a payé un verre. Il semblerait que ce soit une tactique pour consommer gratis, qu'elle soit coutumière du fait et qu'elle ait un mec ! »

Quatre élèves sur cinq ont voté pour l'actuel président, dans cette école (source : mon agent dans la place), et c'est une estimation optimiste. Une grosse proportion de ces élèves proviennent des lycées les plus recherchés de la capitale (Henri-IV, Carnot, Louis-le-Grand, etc.), publics et privés, notamment ces derniers où sont dispensés des cours de catéchisme intensifs par des pontes d'entreprises françaises ! Certaines jeunes filles se retrouvent même à posséder une photo de l'omniprésident, et à le déclarer attirant (elles ont dû passer à Jean, depuis) ! On croit rêver. L'élite parisienne a donc rendez-vous avec l'ESTP, mais pas seulement elle. Je citerai le cas de ce jeune homme, fils de diplomate qatari, détenant un appartement de 70 m2 boulevard Saint-Germain, et qui retrouvait chaque week-end sa petite amie résidant en Suisse.

L'ami de mon frère (qui garde vaillamment la tête sur les épaules) a donc l'habitude d'évoluer dans ce milieu, du moins y aspire-t-il grandement, puisque vivant tout de même, selon ses dires, à un niveau de richesse moindre. Modeste, avec ça. J'eus l'heureux sentiment de le voir ne pas savoir sur quel pied danser, en ma compagnie. La dégaine que je trimballais accentuait son malaise : cheveux bouclés et pas assez longs pour les retenir, bermuda ringard, Sailor's aux panards et sans chaussettes (sans chaussettes ? Mais quelle idée déplorable de l'hygiène !), une vareuse usée comme il se doit, un tee-shirt délavé, mon vieux sac bleu marine et jaune... (« C'est ça son grand frère ?... » dut-il certainement penser. En censurant.)

J'ignorais la programmation du concert, à l'exception du retour de l'exilé Polnareff ; quand il me cita Tokio Hotel, et que je ne tiquai pas, il s'exclama :
- Quoi ? Tu [je l'ai laissé me tutoyer, pour ne pas gêner mon frère] ne connais pas Tokio Hotel ?
- Tu sais bien, intervint mon frère, on les voit souvent pendant les pubs... Ah mais non, c'est vrai, tu n'as pas la télé.
- Hein ?? Le brave n'en croit pas ses yeux. Tu n'as pas la télé ?? Mais qu'est-ce que tu fais, pour t'occuper ?...
Il ne sait pas que c'est une question qui fâche ; je passe l'éponge.
- Je lis, j'écris, je gratouille une guitare, je regarde des films, j'écoute de la musique...
- Attends attends, tu regardes des films ? T'as un PC alors. Et t'as pas Internet ?
- Non. J'y allais une fois par semaine à l'IUFM, tout au plus.
- Pas internet... Je sais pas comment tu fais pour tenir... Moi j'pourrais pas ! lance-t-il, un brin désemparé.
- Les hommes ont bien vécu sans, auparavant ; je ne vois pas pour quelle raison on ne pourrait pas s'en passer aujourd'hui.
- T'as un téléphone portable ?... Au moins ? interroge-t-il. Presque résigné, le bougre.
J'exhibe le fil à la patte.
- Quand même ! fait-il souriant, heureux d'avoir sous les yeux un objet de la civilisation moderne.
- Si je le pouvais, je le jetterai dans une benne à ordures.
Mais il ne m'écoutait plus, parti dans une discussion avec mon frère sur des considérations de stage.

Nous étions assis, la même posture qu'une foule considérable de gens, sous la Tour Eiffel, en face du Trocadéro. Difficile d'avoir une meilleure vue pour le feu d'artifice. A l'autre bout du potager le concert battait son plein, des greluches pantomimes succédaient à des abrutis gesticulants (je voyais la scène, pourtant très loin, mais les énormes écrans sur les côtés étaient bienvenus pour suivre). Soudain, un mur sonore de cris de jeunes filles au bord de l'orgasme nous parvint, phénomène impressionnant : il s'agissait du groupe cité plus haut ; je ne voyais sur l'écran qu'un individu maquillé, au sexe indéterminé, à la crinière ornée de mèches.
- C'est une fille qui chante ? demandai-je, interloqué. Mon frère rit.
- Non, c'est un mec ! Hahaha !
- Et quel âge il a ?
- Dix-sept ou dix-huit, pas plus, coupe Nicolas. Il paraît que le fils à Sarko adore ce groupe !
- Un gage de qualité, à n'en pas douter ! grinçai-je. Mon frère rigola avec moi ; l'autre un peu, jaune.
Une chanson commença, et de toute évidence la mélodie était connue de la foule. Nicolas fredonnait, et apercevant ma mine impassible :
- Tu connais vraiment pas ? Incroyable...
- C'est loin de valoir Led Zeppelin en concert, par exemple.
- Ouais, c'est clair... répond-il, pas très sûr, en se détournant. Pas de doute, il avait pitié de moi ; j'étais vierge musicalement du groupe allemand ! Pauvre de moi, en somme.

Polnareff conclut le concert par « On ira tous au paradis » (mais ceux du XVIe arrondissement d'abord !). Il devait être aux alentours de 23 h. Sachant que le spectacle serait accompagné de musiques de bandes originales, je proposai à Nicolas de deviner celles qui seraient diffusées. Il accepta. Je lui donnai une leçon ; avec un certain plaisir, j'avoue.
- C'est Tigre et Dragon ! Je reconnais !
- Non, c'est le thème de In the mood for love, le film de Wong Kar-wai.
Le feu d'artifice fut splendide, en accord (« Ah ! Et ça c'est Björk et la chanson de Dancer in the Dark ; magnifique. ») avec la bande-son. Par exemple, pour le thème de Star Wars (que Nicolas reconnut), les pétards se déployèrent en galaxie argentée. Superbe idée. Un final à vous anéantir les tympans, et la Tour Eiffel scintilla, comme d'habitude.

Les officiels dénombrèrent 600 000 personnes ; ce que je peux en dire, c'est qu'il y avait du monde, comme je n'en avais jamais vu auparavant (tout autre chose que les manifestations du centre-ville de Quimper). Le brillant projet de fermer les stations de transport en commun n'arrangea pas l'évacuation. Je ne suivais pas mon frère qui m'invitait à passer la nuit, chez lui ; rétrospectivement, c'eut été la meilleure solution.

Pour faire simple : arrivé station Javel, les lignes du réseau parisien fermaient. Avec le portable et sa batterie à plat, me voilà bloqué en plein Paris. Je ne vois qu'une seule issue pour rallier Melun : la Gare de Lyon. Une dizaine de kilomètres de marche sur la rive gauche ; mes Sailor's m'égratignèrent profondément l'arrière du pied au bas des tendons d'Achille ; un véhicule transportait les Vélib devant être mis en circulation le matin même ; sur le port en bordure du Jardin des Plantes, des inconscients jouaient avec des fusées, tenues à la main. Mon salut avait un nom : le Noctilien ; j'étais bien naïf de croire que personne ne le prendrait...

Il est 5 h 30, je suis presque chez moi, à Melun. Tandis que je traverse le Pont Jeanne-d'Arc arrive sur ma droite une bande de jeunes passablement éméchés. Sentant le coup venir, j'accélère le pas et fait mine de ne pas y faire attention : plan risqué, il n'y a pas l'ombre d'une mouche en sus de nous... Je passe devant les ivrognes, qui sont à une vingtaine de mètres, et l'un d'entre eux, immanquablement, s'adresse à moi en termes injurieux. Je continue ma route (la porte d'entrée n'est qu'à une centaine de mètres), ils ne me suivent pas, mais l'autre décérébré tente mordicus d'attirer mon attention. Je me retourne à l'instant où le mur de l'immeuble du quai bouchait sa vue. Il crie sur-le-champ :
- Eh ! Il m'a regardé ! On le chope !
Personne ne l'a suivi, fort heureusement. Heureux monde où un simple regard suffit comme prétexte pour se faire passer à tabac.

Pas fâché, le lendemain je quittais l'Île-de-France. Mon frère et moi avions pris chacun un billet en première classe (pour une fois), mais le bilan fut le même pour tout le monde. Lorsque la foudre frappa la caténaire, quelque part entre Le Mans et Rennes, le retour en Bretagne prit douze heures au lieu des quatre et demi initiales, et une allure rocambolesque...
[17/07/08]

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Quelle épopée! ;o) Et Yo ignore qui est T.H. ? Pff, fait le ventilateur... :oD Sandra

Yohann a dit…

Désolé, 'suis pas connecté au flux des variétés musicales de merde qui enlise le cerveau des jeunes d'aujourd'hui (je n'te vise pas, hein). A Melun, parfois passaient dans la rue des types en voiture, vitres ouvertes, faisant profiter aux piétons leur bouillie musicale noyant des grumeaux verbeux.
Certes, il y a quelques groupes qui sortent du lot (The Kills, entre autres) ou de la vase, m'enfin... Suis pessimiste. Mais pas réactionnaire. ;o)

Anonyme a dit…

Hé je n'ai jamais dit que j'avais écouté ni même que j'aimais... Je sais: la réponse est facile. lol. Mais tout le monde connaît les hérissons de T.H. ! :op

Yohann a dit…

Les hérissons, c'est malheureux, mais ça s'écrase facilement sur la route. Gniéhéhé
Même si j'aime bien ces bébêtes. :o)

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Yohann ©®™☺☼♥♫≈(2003-2009)