lundi 12 mars 2007

_Il faut être hypocrite pour ne pas s'apercevoir de l'attrait puissant qu'exerce (et a exercé) Paris sur la vie française. Certes, je commence par une banalité. En feuilletant le Guide Vert à la recherche de musées à visiter (gratuitement, hein, je n'vais pas cracher dans le bouillon... de culture), je ne pouvais que m'arrêter sur les innombrables anecdotes dont regorge cette ville. En tant que capitale cosmopolite, quoi de plus indéniable.
_Quand on y marche et qu'on n'a pas l'habitude d'être entouré de monuments tous plus originaux les uns que les autres, on a de quoi avoir la tête qui tourne. La somptuosité des coupoles frappe davantage encore avec la promiscuité miséreuse du pavé. A ma grande horreur (je m'y étais préparé, mais heureusement je ne m'y ferais jamais), le singulier épars côtoie la pluralité gratinée.
_J'aurais poussé ma curiosité jusqu'au canal Saint-Martin si ma conscience ne m'avait pas aggrippé par le col de ma chemise en me houspillant : « Tu te crois dans un zoo, Yohann ? Un parc à thèmes ? C'est un spectacle vivant qui t'intéresses ? Prends garde, ce sont des êtres humains brisés que tu vas reluquer. Si tu y vas uniquement dans le but d'épancher un appétit vicieux suscité par des médias prompts au sensationnel, tu ne m'éveilleras plus qu'un sombre dégoût teinté de mépris. » J'aurais pu me répliquer ainsi : « Bof ! Ce n'était de toute façon pas sur mon chemin. » Mais si ce trait de cynisme rampant m'avait été décoché, je me serais instinctivement mis une gifle.
_Je tenais la rampe du métro de la ligne 1 qui a la particularité de ne pas avoir les wagons cloisonnés, et je repensais à tout ça en regardant vaguement les personnes d'un côté et de l'autre. Des faces grises et fermées à l'instar de façades d'immeubles délavées m'environnent. Une phrase jaillit spontanément, tirée d'un de mes cours de psychologie : « Notre société fonde de l'inhumain. » J'émerge de ma torpeur comme si on m'avait pincé un nerf et lentement, discrètement, j'observe que les corps des passagers se meuvent en parfaite synchronisation tandis que le métro bringuebalant suit son chemin tracé. J'en viendrais presque à croire que cette population ne s'accorde que sur les cahots du train souterrain.

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_« Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? » Lamartine
_Sans le cerveau et les cellules spécifiques qui le composent, nous ne pourrions être ce que nous sommes. Nous serions des « légumes », en train de « végéter ». La métaphore végétale n'est pas le fruit du hasard. L'œuf représente fondamentalement la même chose qu'un arbre : c'est un agglomérat de cellules, et ce paquet vit. Une cellule vit, sans quoi elle ne se différencierait pas de la matière minérale. Un protozoaire est tout ce qu'il y a de plus vivant (et potentiellement immortel !). Par conséquent un amas pluricellulaire vit également. A partir de quel instant peut-on affirmer que la cellule- œuf possède une âme (l'éjectant de ce fait du monde inanimé au sens végétal) et qu'elle accède au rang d'animal ?
_Dans le Timée, Platon affirme que l'homme possède bien une âme, mais qu'il existe aussi une « âme du monde », dont chaque âme particulière en est le reflet. En résumé, cette âme du monde est une anima movens, que c'est grâce à elle que tournent les sphères célestes et que la vie s'est répandue sur Terre. Je ne vais retenir que l'idée de dynamique interne : en effet, peut-on appliquer ceci au cerveau ? Serait-ce dès qu'un mouvement synaptique interne se crée, que la dynamo électrique des neurones s'enclenche (ce qui revient au même), que l'on peut évoquer la naissance d'une activité psychique, c'est-à-dire une âme ?
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J'aime bien cette « âme du monde » de Platon dont proviendrait chacune des nôtres. La Terre serait un super-organisme plurianimé. Entre parenthèses, pas sûr que l'être humain veuille partager quoi que ce soit avec une autre espèce douée de conscience. Cela m'a rappelé l'évolution de l'humanité qu'avait imaginé Asimov dans Fondation Foudroyée et Terre et Fondation (Avis aux amateurs ! Sachez qu'il est préférable de lire auparavant les premières parties du cycle...). C'est une conception à tendance animiste, ce qui signifie que l'on attribue une âme, même minime, à tout ce qui compose la planète, même les pierres. Je ne vais pas jusqu'à ce point, je me contente d'estimer le vivant comme un présent indigne de nous.
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Je ne comprends pas le prétexte de la recherche scientifique pour pouvoir chasser la baleine. Je hais le Japon, la Norvège, l'Islande, le Canada (et les autres pays criminels) pour ça. Quelles recherches scientifiques ? Quand on tue une centaine de baleines, n'en a-t-on pas déjà assez avec une seule pour l'étudier ? Que veulent étudier ces pays ? Un phénomène d'extinction d'une espèce animale ?
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Bien sûr qu'ils n'en ont rien à faire. Il n'y a aucune étude scientifique dans ce carnage. C'est juste l'estomac qui s'exprime, les poches qui ne sont jamais assez remplies, des tonneaux des Danaïdes mobiles. Lorsque j'entends ces types qui dénient cette vérité, je rentre dans une rage sourde (où trouverait-elle un écho ?), et je me vois en train de tous leur fracasser la figure à coups de poing et les jeter à la baille. Quelle frustration insoutenable ! Que ne donnerais-je pour avoir ces faces ignobles devant moi... C'est dans ce genre d'abus manifeste et flagrant, où toute la fielleuse hypocrisie humaine s'expose à pleine puissance, où j'ai le sentiment que l'on me claque des doigts sous le nez d'un air narquois en totale impunité, que je me sens sortir de ma retraite pacifiste et que j'exècre le genre humain.
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Autant dire souvent.
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De quoi tendre à une inévitable misanthropie.
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_Autant il me semble futile de parler politique, autant je laisse le soin aux autres de magnifier les chefs-d'œuvre littéraire. Pourquoi donc ? L'une ne fait que brasser d'inconstante vétilles, les autres fondent des piliers culturels. Mieux vaut en parler tout court. A ce propos, j'aimerais juste ajouter un mot sur deux auteurs, John Steinbeck et Léon Tolstoï, qui par l'intermédiaire de deux de leurs ouvrages, à savoir A l'est d'Eden et La Guerre et la Paix respectivement, m'ont ouvert les yeux sur le point suivant : le développement d'une humanité réaliste et viable chez les personnages d'un roman est absolument primordial afin de rendre le livre le plus attachant possible. Je le savais déjà, mais ces deux-là m'ont ébloui par leur finesse psychologique hors catégorie. Des exemples à suivre, pas à copier.
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_J'exposai brièvement dans un article précédent la misère qui ornementait les rues de Paris ; Melun n'en est pas exempt, n'a rien à envier à son aînée du Nord. Au lieu de lutter contre la paupérisation grandissante (encore aujourd'hui, j'ai reçu un prospectus des Restos du Coeur), not' bon maire s'attache à embellir superficiellement les rues, à manifester pour créer un détournement autoroutier pour désengorger la ville, à protéger les parterres de fleurs, à rafraîchir quelques façades du centre, à nous faire parvenir nombre de journaux sur sa bonne ville dynamique (dernier en date, Melun Sécurité, document quasi propagandiste sur les bienfaits du tout-sécuritaire), mais pour ce qui est de la misère sociale, niet.
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C'est vraiment malheureux de le dire : on finit par reconnaître les misérables qui y traînent.
_L'un d'entre eux fait peine à voir. J'ignore s'il est réellement un indigent ; ce que je sais par contre c'est qu'il lui faut expressément sa dose de nicotine. On le voit déambuler dans différentes zones de la ville, et pour ma part je l'ai vu : en face de l'entrée de la Poste de la place Saint-Jean, et sur le parvis de l'église Saint-Aspais. C'est d'ailleurs là que je me suis fait alpagué par lui.
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Je pensais qu'il ne m'avait pas vu, occupé avec quelqu'un d'autre, mais visiblement cette personne ne lui a pas donné satisfaction. D'un bond et d'un cri rauque « Meu-sieur ! Meu-sieur ! », il m'atteint.
- Meu-sieur ! Vous n'au-riez pas une peu-tite cigarette ? me demande-t-il de sa voix traînarde. Le timbre est poussif et eraillé, la gorge étant encombrée par des années de crapotage.
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Il est encore plus repoussant de près que de loin : quand on l'aperçoit, on s'imagine un homme aux habits de vieillard, au dos en arche de pont, qui s'est égaré hors de chez lui et souhaite qu'on lui vienne en aide. En face de lui... Des miettes de tabac encore coincées entre la peau et l'ongle, qui sont d'un jaune de pus ; des mains sales et rachitiques ; un visage strié de rides, la lèvre inférieure plus avancée et bouffie que l'autre, une patate remplaçant son nez, des yeux retirés et injectés de sang ; des cheveux courts, clairs et plaqués sur le crâne ; un corps ratatiné et nerveux.
- Non, désolé monsieur, je ne fume pas.
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Il détourne alors lentement de moi son regard enfiévré, sans un mot, et observe à la ronde le flot de personnes : « Qui ? »

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