Que c'est bon de sentir les embruns fouetter son visage !
Le catamaran filait comme un espadon fendant les flots, fouaillant les vagues, tranchant l'écume. Morgan laissait à la manœuvre son moniteur, voulant capturer les yeux fermés les impressions du grand large. C'était un court instant de luxe qu'il s'accordait, celui de ne pas admirer l'étendue d'eau bleue sombre, car il naviguait pour la première fois sur l'océan, en dix-neuf années d'existence cela ne s'était pas réalisé. Alors il se concentra et d'un coup il vibrait de plaisir à l'unisson du bateau, il marchait, non, il courait, que dis-je, il fusait littéralement à la surface, et c'était si bon, il ne savait s'il pleurait, son visage était tout de sel, le soleil lui creusait des rides, et des gouttes piquantes rafraîchissaient son nez qui commençait à brûler, mais il s'en contrefichait, il était bien, il ne s'était pas senti aussi bien depuis longtemps, même depuis Pénélope, et il se refusait de penser à autre chose qu'au présent, car ce qu'il expérimentait était unique, et quoi qu'on en dise la première fois détermine, calibre le reste, et celle-ci est phénoménale, inouïe, oh comme j'aime être là, son nez coulait, c'est qu'il devait pleurer, pleurer de joie, car il le sentait, son cœur battait la chamade, chaud, rouge...
Il y a toujours un stimulus pour nous éjecter d'une rêverie, un truc si insignifiant que la seconde qui suit l'a évacué de notre mémoire courte. Si minuscule, si puissant cependant pour fracasser ce miroir aux souvenirs, nous tirer par la peau des fesses et nous montrer par contraste à quel point notre rêverie, c'était le pied, et que maintenant c'est minable.
De la terrasse de Saint-Germain-en-Laye, Morgan ouvrit ses paupières et vit la Défense qui dominait la couronne occidentale parisienne.
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