Le Cheval du Vent (1) de Galsan s'était retiré parmi les étoiles.
Galsan avait rendu son dernier souffle au matin, l'aurore assombrissant les versants couchants des monts de l'est, la lune croissante évanescente d'une beauté sublime dans ce ciel bleu-gris, Tenger (2) clignotant.
Le dernier lien qui l'unissant encore au monde terrestre venait de s'éteindre, et la vieille femme aux traits marqués, au visage buriné par le sel n'en menait pas large. Galsan représentait l'ultime ami issu de la même génération qu'elle, et sans famille, sans personne pour l'écouter et à qui transmettre ou partager, un univers disparaîtrait, lequel aurait pu profiter aux générations suivantes.
Elle se déplaçait à dos de mule, davantage commode que la marche, malgré son âge, pour retourner à Ulaangom (3) ; la bête avait servi à Galsan. Ce dernier habitait Torgalyg, village situé à l'extrémité méridionale de la république de Tannou-Touva (4). Pressentant sa fin approcher, il l'avait contactée, désirant un départ comme il se devait. Elle contourna le lac Upsa-Khol (5), remonta la rivière froide et profonde qui s'écoulait au sud de Saryg-Alak (6), et retrouva Galsan. Il était à l'article de la mort, mais il avait résisté, l'attendant calmement, sereinement.
Elle empruntait une modeste passerelle de bois quand elle fondit brusquement en larmes. Le soleil haut, Upsa-Khol scintillait des kilomètres plus loin. Des sommets dentelés et crevassés de l'Altaï en soutien, la vieille sanglotait en hoquetant ; peut-être avait-elle oublié ce que c'était, de vivre des pleurs.
Il n'y avait plus rien pour elle, aujourd'hui. Le néant envahissait son cœur, car le mince rempart venait de s'écouler en poussière. Elle voulait réagir, mais comment ? A quoi s'accrocher ? A qui ? Les traditions, les rituels, tout cela était soudain annihilé et ne servait à rien. Les quelques larmes qui s'écroulèrent séchèrent ; la mule, patiente, paissait.
Selon son jugement, il n'existait désormais qu'une issue. Personne ne souhaitait l'entendre ; l'écouter, oui. Mais apprendre ? Elle effectua un revers de la main dans le vide.
Son dernier voyage. Elle descendrait à Ulaangom, se procurerait une petite yourte – de bons tanneurs vivaient encore – et s'enfoncerait dans les montagnes, à l'ouest, loin de la ville, des rats, des vendeurs de cannabis, des abominations de l'ère moderne.
Elle s'en irait à l'ouest, et s'y évanouirait.
1 : allégorie de l'âme humaine dans la religion chamanique de l'Asie centrale.
2 : Tenger, ou Tengri, est le dieu suprême de la religion tengriste, le dieu du Ciel, qui s'oppose à la Terre-mère nommée Eje. Cette religion s'étend sur une grande partie de l'Asie centrale, tant historique que géographique. La signification de Tenger diffère selon les Chinois, les Mongols ou les Turcs, cependant, quelques dénominateurs communs existent, comme l'Arbre-Monde (différent d'Yggdrasil, lire l'Intermédiaire VII), les quatre directions (Nord, Sud...) ainsi que le soleil.
J'ai trouvé plus commode de l'imaginer en étoile, pour une résonance avec l'âme de Galsan.
3 : Ulaangom est le nom de la capitale de la province de Uvs, en Mongolie.
4 : la République de Tannou-Touva fait partie intégrante de la fédération russe.
5 : Upsa-Khol en touva, ou Uvs-Nuur en mongol, autrement dit le lac d'Uvs, est un lac faisant partie du patrimoine mondial de l'UNESCO. Etendu sur 70 000 km2, Upsa-Khol est l'un des lacs les mieux préservés des steppes et plus généralement de l'Eurasie. Il a la particularité d'être salé. Une toute petite partie du lac se situe en Russie.
6 : village localisé en Tannou-Touva, une dizaine de kilomètres à l'ouest de Torgalyg.
mercredi 15 octobre 2008
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Yohann ©®™☺☼♥♫≈(2003-2009)
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