mercredi 8 octobre 2008

Intermédiaire XVIII

Le jeune homme avançait d'un pas allègre dans le froid du mois de novembre, bien qu'il fît tout pour ne rien laisser paraître de sa bonne humeur. Il avait rendez-vous avec sa petite amie, mais pas une petite amie comme les autres ; ils vivaient dans une région du monde où le groupe ethnique importe beaucoup : elle était bosniaque, et lui croate.

La ville de Mostar en Bosnie-Herzégovine est traversée par un fleuve glacial appelé Neretva ; Mostar-Est concentre une majorité de Bosniaques et l'ouest de la ville habite une forte population de Croates. Allez savoir comment ces deux jeunes s'étaient rencontrés ; ce que je sais, c'est qu'ils se plurent au premier coup d'œil ; l'amour frappe sans prévenir.

Lui refusa quelques jours d'admettre que la voir en esprit lui coupait l'appétit (symptôme patent), et quand il l'aperçut une seconde fois, il dut se détourner un instant pour dissimuler ses yeux humides. Un pan de ce qu'il crût connaître s'écroulait ; casser une tradition ne se ressent pas sans douleur.

Ils finirent par entrer en contact, chose plus aisée qu'elle ne le crût ; elle s'était forgée une foule d'invisibles obstacles. Seule sa grande sœur fut mise au courant, et après que cette dernière se fut renseignée sur le garçon par un moyen inconnu, la jeune fille reçut l'aval de son aînée. Tous se sentaient concernés par la guerre qui faisait rage, près de leurs frontières ; l'atmosphère restait tendue et vigilante.

Un éclair suivi d'un sifflement furent ce que le jeune homme perçut, précédant la retentissante explosion. Un moment abasourdi, il comprit que quelque chose était tombée là-bas, dans Mostar-Est ; un énorme panache de fumée s'éleva rapidement. Deux autres explosions fracassèrent le lourd silence ; ce n'était plus un accident, et il s'élança en direction du Vieux Pont, leur lieu de rencontre.

Il la trouva, en donnant du coude sur le Pont, et elle cria de surprise quand il l'enlaça. Ils n'osaient croire à ce qui commençait. Il l'entraînait au-delà du Pont ; une déflagration les souffla par derrière.

Un acouphène terrible dans les oreilles, le corps endolori, recouverte de gravats, elle se retourna sur le ventre et le chercha des yeux. Il bougeait piteusement, à sa droite. Faisant abstraction du reste, elle se mit debout et boitilla jusque lui.

- Lève-toi, hurla-t-elle, en lui tendant la main.

Avant que le missile leur tombe dessus, il put la saisir.


N.B. : le Vieux Pont de Mostar, avec son quartier est inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO. La guerre de 1992 à 1995 atteignit Mostar en mai 1993, mais pour la commodité de cet Intermédiaire, je l'ai fait « attendre » novembre, où effectivement, le 9 novembre 1993, les bombardements croates détruisirent le Stari Most ; aujourd'hui entièrement rebâti avec les techniques d'époque (il fut érigé en 1565).

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