Le chef rendu cramoisi vitupéra :
- Non ! Vous n'êtes qu'une bande d'incapables ! Trouvez-moi autre chose ! Exécution !
D'instinct grégaire, le troupeau de mangakas (1) désespérés s'enfuit du bureau, aussi affolé qu'un banc de krill devant une baleine ; affrontant seul les phalènes acérées, Hiroo, les jambes en coton.
- Qu'est-ce que tu veux ? gronda le chef, sans se retourner.
- Je... J'ai peut-être une idée, chef ! bafouilla presque Hiroo (2) (en tout cas, il y eut des postillons). Puis, n'osant formuler un son, attendant une réponse, il sentit une douce chaleur moite poindre sous ses aisselles.
- Eh bien ! Parle !
- Oui !... Voilà : l'autre jour je parlais avec un ami vietnamien que j'avais rencontré il y a quelques années à l'université Meiji (3). Au cours de la discussion nous en sommes venus à évoquer les légendes vietnamiennes, parce que pour ma part il y a un attrait évident à connaître les mythologies de ses voisins, puisque...
- Abrège !
- Oui !! couina Hiroo, plus tendu que jamais. A un moment donné, il me dit soudain qu'il existe une légende en commun entre le Japon et le Viêt Nam. Il s'agit d'un pont-pagode situé à Hội An où reposerait un monstre gigantesque ayant sa tête en Inde et l'autre extrémité au Japon ! Ça m'a beaucoup intrigué, et j'ai approfondi mes recherches...
Par-dessus l'épaule de son chef, Hiroo tendit trois feuilles dactylographiées que son patron saisit prestement. Le mangaka sentit l'excitation bondir d'un cran, mais il se maîtrisa aussitôt, tâchant de garder bonne mesure en cet instant décisif. Il lorgna les traits du visage patronal, dont les globes oculaires parcouraient rapidement les lignes, guettant le moindre indice de changement d'humeur. Le chef se prénommait Haku (« blanc »), mais tout l'étage le surnommait Aku (« le mal ») à cause de sa propension à la colère. L'origine de ces excès colériques faisait l'objet d'interrogations triviales, entre collègues : absorption massive de café ? Ulcère récalcitrant ? Cocuage non digéré ?
- Mmmh, grommela le Mal, ce qui contracta Hiroo. Pourquoi des oiseaux comme personnages ?
- Il y a quantité d'oiseaux de par le monde, a fortiori du Japon à l'Inde, sans oublier les migrations, susceptibles d'être utilisées. On peut mettre en avant certains points physionomiques et de caractère : petit, gros, rapide, énergique, à côté de la plaque... Les oiseaux constituent un formidable vivier de personnages et de situations... J'avais imaginé une grue comme personnage principal...
Le chef réfléchit si longtemps que Hiroo finit par se racler discrètement la gorge.
- Trouve-moi un synopsis valable avant la fin de la journée !
- Oui, Monsieur ! Merci, Monsieur !
Hiroo souriait jusqu'aux oreilles en sortant du bureau.
- Non ! Vous n'êtes qu'une bande d'incapables ! Trouvez-moi autre chose ! Exécution !
D'instinct grégaire, le troupeau de mangakas (1) désespérés s'enfuit du bureau, aussi affolé qu'un banc de krill devant une baleine ; affrontant seul les phalènes acérées, Hiroo, les jambes en coton.
- Qu'est-ce que tu veux ? gronda le chef, sans se retourner.
- Je... J'ai peut-être une idée, chef ! bafouilla presque Hiroo (2) (en tout cas, il y eut des postillons). Puis, n'osant formuler un son, attendant une réponse, il sentit une douce chaleur moite poindre sous ses aisselles.
- Eh bien ! Parle !
- Oui !... Voilà : l'autre jour je parlais avec un ami vietnamien que j'avais rencontré il y a quelques années à l'université Meiji (3). Au cours de la discussion nous en sommes venus à évoquer les légendes vietnamiennes, parce que pour ma part il y a un attrait évident à connaître les mythologies de ses voisins, puisque...
- Abrège !
- Oui !! couina Hiroo, plus tendu que jamais. A un moment donné, il me dit soudain qu'il existe une légende en commun entre le Japon et le Viêt Nam. Il s'agit d'un pont-pagode situé à Hội An où reposerait un monstre gigantesque ayant sa tête en Inde et l'autre extrémité au Japon ! Ça m'a beaucoup intrigué, et j'ai approfondi mes recherches...
Par-dessus l'épaule de son chef, Hiroo tendit trois feuilles dactylographiées que son patron saisit prestement. Le mangaka sentit l'excitation bondir d'un cran, mais il se maîtrisa aussitôt, tâchant de garder bonne mesure en cet instant décisif. Il lorgna les traits du visage patronal, dont les globes oculaires parcouraient rapidement les lignes, guettant le moindre indice de changement d'humeur. Le chef se prénommait Haku (« blanc »), mais tout l'étage le surnommait Aku (« le mal ») à cause de sa propension à la colère. L'origine de ces excès colériques faisait l'objet d'interrogations triviales, entre collègues : absorption massive de café ? Ulcère récalcitrant ? Cocuage non digéré ?
- Mmmh, grommela le Mal, ce qui contracta Hiroo. Pourquoi des oiseaux comme personnages ?
- Il y a quantité d'oiseaux de par le monde, a fortiori du Japon à l'Inde, sans oublier les migrations, susceptibles d'être utilisées. On peut mettre en avant certains points physionomiques et de caractère : petit, gros, rapide, énergique, à côté de la plaque... Les oiseaux constituent un formidable vivier de personnages et de situations... J'avais imaginé une grue comme personnage principal...
Le chef réfléchit si longtemps que Hiroo finit par se racler discrètement la gorge.
- Trouve-moi un synopsis valable avant la fin de la journée !
- Oui, Monsieur ! Merci, Monsieur !
Hiroo souriait jusqu'aux oreilles en sortant du bureau.
1 : dessinateur de manga, la fameuse bande dessinée japonaise. La particule -ka signifie qui fait du /des, et qu'on retrouve dans judoka, karateka...
2 : petit clin d'œil à la communauté française que l'on peut croiser dans le quartier d'Hiroo à Tōkyō ; c'est aussi le quartier où l'on retrouve de nombreuses ambassades.
3 : nom d'une des trois plus prestigieuses universités privées du Japon.
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