La dernière chose que Karola devina par la fenêtre du train fut une bécasse d'Alaska, remplacée par la lumière fulgurante et fade de l'éclairage du tunnel. Un pont sous-marin, selon la publicité, mais ça ne sonnait guère juste ; peut-être à l'époque de l'ouverture au public ; les commerciaux avaient eu dans ce cas des goûts douteux.
Ceci étant, un tunnel entre la Russie et la république d'Alaska, ça en jetait. Il avait coûté la peau des fesses des contribuables, mais quelle vitrine ! Le détroit de Béring n'était plus praticable à pied, depuis belle lurette ; il était pourtant nécessaire de conserver un passage dans cet espace stratégique de premier ordre. Maintenant que le climat avait permis à l'océan Arctique de se réchauffer un peu, le prix du mètre carré sur les îles Aléoutiennes (1) grimpaient en flèche ! A croire que les tremblements de terre et les volcans éblouissaient d'exotisme !
Le nez de Karola frémit d'excitation.
Elle était promoteur immobilier, avait flairé avant bon nombre de collègues – disons : concurrents – qu'avec la fonte des glaces septentrionales, d'une part l'attractivité de la région allait croître, malgré le rythme solaire déroutant (la technologie permettait aujourd'hui un réglage du cycle diurne/nocturne tout à fait adapté, dans les habitations), d'autre part le transport des marchandises allait gagner un temps fou en coupant par les cercles polaires, et les manufactures pousser comme des champignons, à l'instar de la gangrène autour d'une plaie non traitée.
Il était possible de voyager de Barcelone, dernière ville vivable au sud de l'Europe, à cause de l'avancée des déserts, jusqu'à Washington, et ce en train ! Le bout de la ligne n'était plus New York ; Karla détestait New York, ou plutôt détestait le mur de vingt mètres de haut qui entourait la ville et l'enlaidissait irrémédiablement. A présent, elle se rendait à Vladivostok, désormais la ville la plus profitable.
Vladivostok avait son petit charme, il est vrai ; attendez que Sergueï Onéguine attrape le contrat de modernisation des boulevards ! On le surnommait le Haussmann russe (2), mais c'était encore bien en-deçà de son talent ! La guerre russo-japonaise pour l'île Sakhaline (3) n'avait pas épargné la ville, Sergueï saurait lui redonner son allant et sa personnalité. Il n'était pas talentueux – non, génial – seulement en architecture...
Karola avait affaire avec les individus les plus en vue, gagnait des sommes d'argent considérables, et ne possédait absolument aucun état d'âme. Son travail était sa bulle, sa vie. Quand elle découvrirait qu'elle était enceinte, sa vision du monde changerait. Brutalement.
Ceci étant, un tunnel entre la Russie et la république d'Alaska, ça en jetait. Il avait coûté la peau des fesses des contribuables, mais quelle vitrine ! Le détroit de Béring n'était plus praticable à pied, depuis belle lurette ; il était pourtant nécessaire de conserver un passage dans cet espace stratégique de premier ordre. Maintenant que le climat avait permis à l'océan Arctique de se réchauffer un peu, le prix du mètre carré sur les îles Aléoutiennes (1) grimpaient en flèche ! A croire que les tremblements de terre et les volcans éblouissaient d'exotisme !
Le nez de Karola frémit d'excitation.
Elle était promoteur immobilier, avait flairé avant bon nombre de collègues – disons : concurrents – qu'avec la fonte des glaces septentrionales, d'une part l'attractivité de la région allait croître, malgré le rythme solaire déroutant (la technologie permettait aujourd'hui un réglage du cycle diurne/nocturne tout à fait adapté, dans les habitations), d'autre part le transport des marchandises allait gagner un temps fou en coupant par les cercles polaires, et les manufactures pousser comme des champignons, à l'instar de la gangrène autour d'une plaie non traitée.
Il était possible de voyager de Barcelone, dernière ville vivable au sud de l'Europe, à cause de l'avancée des déserts, jusqu'à Washington, et ce en train ! Le bout de la ligne n'était plus New York ; Karla détestait New York, ou plutôt détestait le mur de vingt mètres de haut qui entourait la ville et l'enlaidissait irrémédiablement. A présent, elle se rendait à Vladivostok, désormais la ville la plus profitable.
Vladivostok avait son petit charme, il est vrai ; attendez que Sergueï Onéguine attrape le contrat de modernisation des boulevards ! On le surnommait le Haussmann russe (2), mais c'était encore bien en-deçà de son talent ! La guerre russo-japonaise pour l'île Sakhaline (3) n'avait pas épargné la ville, Sergueï saurait lui redonner son allant et sa personnalité. Il n'était pas talentueux – non, génial – seulement en architecture...
Karola avait affaire avec les individus les plus en vue, gagnait des sommes d'argent considérables, et ne possédait absolument aucun état d'âme. Son travail était sa bulle, sa vie. Quand elle découvrirait qu'elle était enceinte, sa vision du monde changerait. Brutalement.
1 : fait partie de la ceinture de feu du Pacifique
2 : Haussmann, préfet de police de Paris sous le Second Empire, fut l'initiateur du plan de rénovation de la capitale française et ses grands boulevards (un moyen comme un autre d'empêcher les barricades lors d'émeutes) ; il n'a pas hésité à détruire la maison parisienne qui l'avait vu naître.
3 : l'île Sakhaline est un enjeu territorial pour les Russes et les Japonais depuis le XVIIe siècle. Elle est située au nord de l'île de Hokkaido et le long du rivage oriental de la Russie. Staline l'a complètement annexée en 1945.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire