Quelque part aux environs de Giverny.
Le soleil est haut, lumineux ; les nuages ont plié bagages de pluie.
Près d'un étang, un homme barbu exerce son art sur une toile, assis sur son éternel chevalet. Sa ribambelle de tubes et les innombrables mélanges sur sa palette démontrent une recherche de la teinte adéquate, signe d'un personnage qui a le temps devant soi à s'adonner à sa passion.
Le pinceau s'enroule et crée dans les couches gluantes de peinture la couleur qui en petites touches sera apposée à l'œuvre. Rien n'est plus difficile pour l'artiste que de retranscrire aux futurs amateurs (à ce moment, pense-t-il vraiment à eux ?) l'exact degré coloré de la perfection naturelle des plantes qu'il visualise. La mémorisation de la lumière de l'instant est ce sur quoi il pointe son attention.
Ses yeux ont consacré sa vie.
Le pont japonais qu'il a fabriqué spécialement pour le jardin prend forme sous ses coups de pinceau. Il dénote vis-à-vis du bassin aux nymphéas et de la végétation environnante. Il semble un arc-en-ciel de bois blanc entouré d'un vert d'été et surplombant un bleu crépusculaire.
Un jacassement proche et entêtant retentit dans son dos, il se retourne. Une pie bondit sur l'herbe en lançant ses cris rauques, comme par désenchantement. Le peintre sourit dans sa barbe et, l'inspiration affluant, se rappelle...
Étretat.
Ce matin d'hiver, ce bleu si cristallin, si caractéristique qu'il en émerge à peine du rose de l'aurore, cet incident capté dans l'épuisette de l'imaginaire, ce silence cotonneux de la neige fraîche, qui craque en fondant...
Ce présent, il l'a déjà vécu. Ce présent, c'est ce pour quoi il peint.
« Ma vieille, tu l'as eue, ta chance. »
N.B. : le peintre en question est Claude Monet. Il possédait une maison avec jardin à Giverny, village situé à une soixantaine de kilomètres au nord-ouest de Paris, car Monet passait beaucoup de temps à s'occuper de jardinage. Un étang était rempli de nymphéas, sorte de nénuphar, et se voyait enjamber par un pont japonais ; certains de ses tableaux les plus célèbres décrivent ce paysage. La Pie est un tout aussi célèbre tableau de Monet, peint en 1869 à Etretat, soit trois ans avant son Impression, soleil levant, et un quart de siècle environ avant de se consacrer à son jardin.
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