mardi 30 novembre 2004

Dimeurzh 30 a viz Du

Je me suis souvenu d’un épisode en rapport avec l’école hier, que je trouve intéressant et troublant.
J’étais dans ma seconde Première Scientifique à Bréhoulou, la seule année où j’avais eu l’audace de me présenter et d’être élu délégué de classe.
On devait faire un stage de deux jours à Châteaulin, début novembre, stage qui devait me faire découvrir les facettes de mon rôle de délégué. Au-delà du fait que ce break de deux jours ait cassé mon rythme de travail et ait eu des répercussions sur la suite de ma vie, c'est une anecdote lors d'une de ces deux journées que je souhaite relater.
Nous avions un "jeu" qui consistait à décrire l'école en un, deux ou trois mots selon sa définition que l'on en avait. Nous devions nous lever, prendre un feutre et écrire ces mots sur une grande planche de dessin (les planches en forme de trépied pour des conférences). Il y avait trois professeurs et on devait être une vingtaine d'élèves. Et on ne devait en aucun cas parler, n'importe qui que ce soit.
J'ai su directement quel mot j'allais inscrire. Il m'est venu spontanément et simplement, et je n'en voyais pas d'autre. Je n'en voyais aucun autre.
Je laissais quelques-uns aller marquer leur mot (je ne m'en rappelle plus, d'ailleurs je les trouvais quasiment tous commun et gamin, un vocabulaire de base, mais sans vantardise de ma part, le mien se détachait du reste), puis je me levai, non sans appréhension car à l'époque, se lever devant des gens inconnus pour s'exprimer (me) faisait peur. Je m'emparai du stylo feutre et écrivai : SPARTIATE.
En retournant à ma place, il y eut d'abord le silence (court) où l'on lisait puis assimilait le mot. Vint ensuite des murmures d'incompréhension, d'étonnement ; je sentis le rouge affluer dans mes joues avant que je ne m'asseye.
Les trois professeurs (surtout une) me regardaient avec des yeux ronds, et les autres élèves me jetaient des coups d'oeil à la dérobée(mais pas très discrets quand même !). Les joues toujours un peu en feu, je restai autant impassible que possible. Au bout d'un moment la prof me demanda pourquoi j'avais marqué ce mot, malgré le fait que personne ne devait parler devant l'exercice. Je haussai les épaules, en disant que je ne le savais pas. Que pouvais-je dire d'autre ? Il m'était venu comme ça, ce mot ! Elle me demanda ensuite ce que ça voulait dire, et je bredouillai une réponse : que c'était un habitant de Sparte et qu'il vivait sous une éducation sévère. Elle acquiesca en rajoutant quelques détails pour ceux qui ne comprenaient pas.
Le "jeu" continua jusqu'à ce que personne n'ait plus aucun mot à rajouter. La suite du programme consistait à barrer une fois un mot qui ne correspondait pas à l'idée que vous vous faisiez de l'école. Vous pensez que mon mot s'est fait hachurer de partout ?
Tandis que certains mots se faisaient rayer 4, 5 fois, il a fallu attendre un certain temps avant qu'un gusse ne vienne le barrer. La prof (une brune rondouillarde) lança : "Ah, enfin !", et je lui administrais un regard plein de fraîcheur. Mon mot ne fut barrer que deux fois.

Mon anecdote s'arrête là, mais je continue sur une analyse. Spartiate ? Ils furent les habitants de Sparte, une ville du Péloponnèse (Grèce) aujourd'hui disparue, grande rivale d'Athènes dans l'Antiquité. Ils furent également les meilleurs soldats de la Grèce Antique pour la bonne raison que les enfants apprenaient à le devenir tôt dans leur existence. Leur modus vivendi était rude, sévère et austère. Tout ou presque allait dans le sens de l'entraînement militaire.
Bref, une vie pas très facile où l'on vous inculquait des habitudes, des notions et des réflexes pas forcément au bon âge d'apprentissage.
Les professeurs présents ont dû sentir ce message (involontaire et inconscient de ma part à l'époque, quoi qu'ils en disent), cette critique du système éducatif actuel. Le comparer au régime spartiate n'est pas très flatteur, force m'est de le reconnaître. D'un autre côté ce n'est pas faux non plus, j'ai beau aimer l'école à sa juste valeur, parfois je trouve les programmes inadaptés, trop chargés ainsi que les emplois du temps (bon, pas trop maintenant), et les profs peu pédagogues. Je dois peut-être ce message à ma propre expérience, plus malheureuse qu'heureuse, à travers mon parcours scolaire.
Il y a peut-être autre chose, de plus profond. En notant ce mot sur le tableau, j'ai peut-être révélé quelque chose de tabou chez ces profs. En rapprochant l'école d'aujourd'hui avec l'enseignement spartiate, je leur ai montré que notre système scolaire, et plus largement encore notre société, manquait singulièrement d'humanité. Semblable au bataillon de Léonidas aux Thermopyles, on envoie aujourd'hui la grande majorité des diplômés se faire flinguer, se sacrifier dans le monde de tous les jours, avec la nuance près qu'on ne leur donne que peu de recommandations et on ne les prévient pas des dangers, et tout ça pour une lutte économique à court terme. La compétition.
J'exagère probablement, pourtant sachez qu'il y a toujours quelqu'un derrière votre dos, de mieux placé que vous. C'est ce sentiment de soumission inconsciente qui nous pèse. Mais on est toujours plus rassuré en bande que seul. La société communautaire nous dicte que l'individualité (et par extension l'égoïsme) est de rigueur aujourd'hui. Notre société de consommation vise l'individu, non un groupe.
C'est tout le contraire de l'individualité qui dominait l'Ancien Temps. On ne laissait pas de place à l'individu, sauf aux puissants. Je ne prône pas ici les valeurs de cette époque, après tout, il faut bien vivre avec son temps, et moi-même je n"échappe pas à la règle : l'égoïsme est plus ou moins présent à l'intérieur de nous tous. Mais ce que je voulais dire par c'est tout le contraire dans l'Ancien Temps, c'est que la vie était régie en communauté. Aujourd'hui aussi, mais dans une moindre mesure. Bien sûr qu'il faut laisser s'épanouir et s'exprimer autrui, je suis d'accord. Mais notre époque nous divise, nous éloigne les uns des autres, irréductiblement.
C'est chacun pour sa pomme.
Je le constate, et je le déplore. Mais je ne peux rien contre. Je ne peux rien seul !
A la base de tout, une personne est un ensemble. Par contre cette personne ne peut rien toute seule, dans sa propre unité. On a besoin d'un ensemble de personnes pour affirmer être quelqu'un. On a besoin des uns des autres pour exister.
Tout ça pour dire qu'il faut trouver un juste équilibre entre son individualité et son altruisme.

Moralité : ne négligez la puissance d'aucun mot.

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