samedi 1 novembre 2008

Intermédiaire XXV

Dormir ; c'est bon de dormir, surtout dans un lit.
Le premier instant délicat est de se glisser sous les draps. C'est froid car inhumain. Mon père m'a confié, quand j'étais petit, de compter cinq minutes pour que le tissu nocturne absorbe et renvoie ma chaleur. Et, effectivement, au bout de cinq minutes, mon corps cessait de frictionner ses muscles, et la bulle de bien-être battait tel un cœur apaisé ; cocon environné d'un froid hivernal. Recroquevillé en position fœtal, il nécessitait encore d'étendre ses jambes ; d'autres territoires à conquérir.
Maintenant, votre corps est prêt, mais pas votre tête, non... La tête ordonne, le corps suit. Quel que soit le degré de fatigue, c'est la tête qui appuie sur le bouton d'extinction des feux (notez bien que la Maladie influence la direction des commandes). Il me faut le noir complet pour qu'en fermant les yeux, je ne perçoive aucun stimuli vespéral.
L'on ferme les yeux.
Vos pensées vous assaillent, le recyclage naturel de la journée a démarré. Quelquefois surgit une phrase qui peut tourner en boucle, obsédante jusque la démence. « Je dois dire quelque chose. » N'importe quelle émotion la ramènera. « Je dois dire quelque chose. Je dois dire quelque chose ? Je dois dire quelque chose. Je dois dire quelque chose ! » C'est un poison solitaire ; si l'on n'y prend pas garde, elle devient une sentence à mouvement perpétuel.
Une phrase, ou bien un geste curieux : l'attention se porte soudain sur les paupières continuant à battre automatiquement, même fermées !
Parfois, l'on bâille. Le corps se détend. Parfois aussi, on a un bras ou une jambe, ou un pied, bref, une partie de la carcasse qui soubresaute brusquement, alors qu'on ne lui a rien demandé. Quand je vous disais que le cerveau tien les rênes... Il s'agit de lui, il surveille si l'on n'est pas en train de mourir. C'est qu'il veut vivre !
Les pensées virevoltent, à l'aide d'un plan de vol moins chaotique qu'initialement ; le filet à papillons est efficace. Moins bruyantes également ; pourtant il suffit d'une mutinerie d'une inassouvie pour retourner en pleine cacophonie. Disons que rien de semblable ne se soit déroulé ; dans ce cas, une autre catégorie de pensées apparaît : celles qui délirent. Certaines ont fusionné, se métamorphosant en des monstres d'imagination. Alors que l'on sent une pression provenant de derrière ses yeux, les paupières seules empêchant une auto-énucléation, l'incongruité de l'atmosphère mutante dans laquelle on est plongé ensorcelle. Un bruit de bouteille débouchée, à une seconde d'intervalle, et les yeux sautent ; je ne tâtonne le sol afin de les récupérer après qu'il aient fini de rouler, le temps utile à cet insupportable malaise de s'estomper. Le son de la succion au moment où je les remets en place englobe mon crâne d'une insoutenable onde nauséeuse.
Puis je me relève sur la plage du Treustell, à l'Île-Tudy. Les dunes en béton armé ont remplacé celles de sable dans l'optique de protéger l'humain. Devant moi, de l'eau plate ; sur ma droite, la mer est en furie, elle fracasse de lames de fond l'amoncellement de roche grise ; le dais céruléen frémit à peine ; je n'entends pas ce clivage de rivages. Je décolle en douceur, je survole le terrain de vacances de ma grand-mère plus loin dans l'éther ; le saule roux pleure ses feuilles, pourquoi persister à les converser ?
Sur le pont de Sainte-Marine - je libère un bras coincé sous mon torse -, j'observe l'Odet transformé en benne à vase. Je salue un petit garçon qui voyage sur son lit volant. Je plonge de l'édifice ; la sensation de gravité est physiquement grisante et irrésistible ; les G au creux de l'estomac me le barbouillent alors que je remonte dans les airs.
Je m'enfonce au sein des cirrus qui s'effilochent, tandis que la sensation de vertige se dissipe ; je m'assoupis sur ce matelas en ramenant un drap cotonneux...

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