- C'est vraiment le bout du monde. La mer, rien que la mer, à des centaines de kilomètres à la ronde, s'extasia la femme.
Le couple chevauchait au pas sur le bord de la route méridionale de l'Île de Pâques ; ils approchaient du site de Hanga Te'e. Le bout de terre perdu dans le Pacifique était impitoyablement battu par des vents violents, hiver comme été, et ne les épargnaient d'aucune manière.
- C'est quand même un peu désert, il n'y a pas d'arbre... concéda-t-elle.
- Je t'avais prévenue. Encore une désertification à mettre au crédit de l'Homme, fit, maussade, son compagnon.
- Toi, depuis ce matin, je te sens bougon. Soit tu couves quelque chose, soit tu as une réflexion que tu rumines.
- Je réfléchissais au fait que la déforestation de l'île n'est dû, encore une fois, qu'à la volonté d'un culte religieux, emmenant la population indigène à une mort certaine.
La femme, la trentaine entamée, observa intensément son partenaire, non gênée par le pas du hongre qu'elle montait. En écartant les cheveux qui revenaient sans cesse devant ses yeux, elle dit :
- Non, chéri, je te connais assez pour savoir que ce n'est pas ce qui te préoccupe réellement.
Il lui jeta un coup d'œil et un sourire en coin ; le Cerro Terevaka veillait sur eux, en arrière-plan.
- On ne peut rien te cacher, chérie.
A l'horizon apparut un moaï, qui pointait son regard enfoncé dans la pierre vers l'intérieur des terres. L'homme tira sur les rênes, et obligea sa compagne à faire de même ; ils s'arrêtèrent au pied de la sculpture.
- Tu savais que leurs yeux étaient en cartilage de requin ?
- Je le sais, oui. Vas-tu me dire ce qui te tracasses ?
- Ceci. » Il sortit un billet de 100 Euro. « L'argent, encore l'argent, toujours l'argent. » Elle ne répondit pas. « Encore plus puissant qu'une religion, encore plus dévastateur pour l'humanité. » Il n'entendit que les sabots martelant épisodiquement le sol, et le vent qui rugissait. « L'ultime artifice. Mais ça (il désigna sur le billet le pont au tracé baroque), ça, ça dépasse l'entendement. C'est du cynisme pur, une défaite du monde libre.
- Ne soit pas si lyrique, soupira-t-elle.
- Mais enfin, dessiner un pont, un symbole qui rassemble, sur un billet de banque, l'élément qui divise, qui embobine par excellence, n'est-ce pas de l'hypocrisie ? N'est-ce pas se moquer de notre poire ? Alors voici ce que je vais faire », s'écria-t-il, ferme, sans laisser de temps de réponse.
Tandis qu'il pliait le billet, il ajouta :
- Une fois, j'ai lu dans un journal satirique (défini satirique par qui, à ce propos ?) que des Russes s'amusaient en soirée à brûler des billets de 500, et que leurs domestiques avaient ensuite ordre de ramasser les cendres. Ces « riches » sont des inconscients, en plus d'être punissables par la justice, alors que moi, je sais ce qu'est l'argent : le lien artificiel d'asservissement. Voilà.
Il s'orienta face à la mer.
- Un billet de cent.
Et il jeta l'avion en papier.
samedi 22 novembre 2008
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Merci !
Yohann ©®™☺☼♥♫≈(2003-2009)
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