samedi 20 septembre 2008

Intermédiaire XIII

Le jeune homme marchait d'un pas résolu et mesuré. Focaliser sur la mécanisation du balancement de ses jambes était le seul moyen d'évacuer les images des derniers instants et de l'inhumation de sa mère. Il n'avait plus aucune attache à Iwakuni, dans la province de Suō ; ce n'est pas pour autant qu'il renierait sa terre.

Le rōnin (1) se rendait à Osaka. L'on pouvait le croire rōnin, malgré le fait qu'il n'eût pas le crâne rasé sur le devant ; un toupet retenait ses cheveux, et une mèche tombait sur son front. L'assurance qu'il dégageait, tout en exsudant son deuil, pouvait être assimilée à de l'orgueil du fait de son jeune âge ; la longue et large épée retenue par une courroie de cuir dans son dos refermaient néanmoins quelques bouches douées en persifflage.

La première école dans laquelle il s'était exercé n'avait guère été conciliante à son égard : le style Tamita se fondait sur le maniement du sabre court ; aussi, quand il s'arma d'un sabre long, par souci de ne point imiter l'enseignement du sensei (2), ce dernier le congédia séance tenante. L'apprenti ne s'en formalisa pas, il eut au contraire la confirmation de la vision bornée des maîtres.

Il avait ensuite cherché Kanemaki Jisai ; avec plaisir sut-il que lui également avait rejeté le style Tamita. Kanemaki Jisai l'accepta, et durant quatre années s'était entraîné sans vouloir un seul instant s'épargner. Quatre années d'intense labeur, quatre années qu'il n'oublierait pas. Mais avant d'achever sa formation, sa mère l'avait rappelé, car elle se mourait.

La fierté maternelle se lisait dans ses yeux ; elle ne pouvait pas se déplacer quand il s'entraînait à terrasser des hirondelles en plein vol et fendre des branches de saule, près du pont Kintai.

Il ne pleura pas, au moment où son dernier souffle fût rendu ; il était un homme qui n'avait pas connu les atermoiements de l'adolescence ; il lui avait semblé qu'un vide venait de naître en son sein, et que l'unique voie pour apaiser ce feu dévorant n'était autre que celle du samouraï. Avant d'expirer, sa mère lui légua l'épée.

Maintenant, Sasaki Kojirō avait trois buts : se mettre au service d'un puissant daimyo (3) qui serait assez intelligent pour comprendre les ambitions du jeune rōnin qu'il recevrait ; créer sa propre école au nom du style qu'il venait d'élaborer, le style Ganryū ; devenir le plus grand samouraï du pays. Sur ce dernier point, rien ni personne ne l'en empêcherait. Mais il doutait qu'il y eût quelqu'un de sa hauteur.


1 : samouraï sans maître
2 : maître, professeur
3 : plus puissant gouverneur féodal, du XIIe siècle jusque l'ère Meiji

N.B. : Sasaki Kojirō était un guerrier historique, ayant vécu de 1585 à 1612. Son grand rival, tout aussi réel mais néanmoins légendaire, Miyamoto Musashi, le tua lors d'un duel. Les deux personnages se démarquèrent par leur façon d'utiliser les sabres : Kojirō utilisait une lame de 90 centimètres, exceptionnellement longue, tandis que Musashi se battait avec deux sabres. Kojirō possédait une technique propre appelé Tsubame Gaeshi, soit « imiter le mouvement d'une hirondelle ».
Aujourd'hui, il existe une statue de Sasaki Kojirō à Iwakuni, ainsi qu'un pont construit alors spécialement pour le passage des samouraïs ! Mais il fut bâti en 1674, c'est-à-dire bien après la date supposée de cet Intermédiaire ; autant éviter les anachronismes trop évidents.
Pour plonger au cœur de l'histoire de Miyamoto Musashi et de cette époque japonaise, lire Musashi, en deux parties intitulées La Pierre et le Sabre suivi de La Parfaite Lumière, de Eiji Yoshikawa. C'est cependant une histoire bien plus romancée que ce qu'il s'est vraiment passé, mais ça vaut son pesant de noix de cajou.
Dédicacé à Ronan.

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