mercredi 3 septembre 2008

Intermédiaire VIII

« Très chère U.

Quand je suis sortie de l'appartement, je ressentais une haine si forte que j'aurais fait fondre un glacier avant de refroidir. Jamais je n'ai été aussi en colère contre quelqu'un, et si ma colère était si intense, c'est peut-être parce que ma déception également atteignait des profondeurs abyssales.

Une question revenait sans cesse : pourquoi m'infliger ça, à moi ?

J'ai erré dans Brest un temps indéfini ; plus rien n'avait de sens, à ce moment. Ce coup de poignard m'avait tellement saigné que, ivre, je divaguais dans les rues. J'en ai croisé, du monde, certains tentaient même de m'interpeler, mais je les repoussais systématiquement. M'épancher sur les épaules d'un inconnu n'était pas profitable, je l'aurais cogné de dépit en crevant l'abcès, abcès qui n'avait de cesse de regonfler puisque les mêmes pensées cauchemardesques tournaient en boucle dans mon crâne.

Comment vivre séparées, après ce que l'on a vécu ensemble ?

La passion qui nous animait a-t-elle disparu ? Comment cela est-il possible ? Comment cela a-t-il pu arriver aussi vite, me tomber sur le coin de la gueule avec une force si inattendue ?

J'ai marché, marché, marché... La tête prise dans les mains. Parfois quelqu'un me klaxonnait, je devais mordre sur la chaussée. Et je suis arrivée au pont Albert-Louppe, pour te donner une idée de la longueur de ma randonnée.

J'ai posé les mains sur la rambarde ; tellement de désespérés ont franchi ce pas, avant moi ; je les comprends à présent. Le vide est si attirant, il vous aspire comme un vulgaire siphon ; la vue est si belle, au coucher du soleil, qu'on voudrait qu'elle se prolonge pour l'éternité. Il y a même un cormoran qui s'est posé à une vingtaine de mètres de moi ; il s'est ébroué ; et je n'oublierai jamais l'image de son envol : ce superbe volatile d'un noir d'onyx plongeant jusqu'au ras de l'eau et partant vers l'ouest... S'il me l'avait demandé, je n'aurais pas hésité une seconde à le suivre. J'aurais tellement aimé que tu fus à mes côtés pour l'admirer ; j'en pleurais si fort.

Mais l'on s'en remet toujours. Attenter à ma vie n'aurait pas changé grand-chose, je pense, sauf à traumatiser mes proches, les livrer à l'incompréhension du geste et le questionnement sans fin. Si tu veux me retrouver, je suis retourné à Lambé. Si tu veux encore de moi. Je t'y attendrai.

Chaleureusement,
M. »


N.B. : depuis longtemps j'ai confondu le pont Albert-Louppe (l'ancien pont à l'entrée de la ville) avec celui du Bouguen, le Pont des suicidés. La confusion s'est révélée ici, mais « Alea jacta est ! », je ne modifierai pas le texte.

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Yohann ©®™☺☼♥♫≈(2003-2009)