jeudi 27 mars 2008

Élections municipales 2008 - 2/2

Le réveil sonne à sept heures, une nouvelle fois.

J'ai toujours un peu de mal à m'extirper du lit, mais les deux semaines passées m'ont inculqué un rythme de sommeil me permettant d'être plus frais plus tôt.

J'arrive à l'heure à la salle socioculturelle. Cette fois, on m'a déplacé au bureau numéro un, celui dans lequel je vote et donc duquel je saluerai nombre de connaissances (et verrai des personnes honnies). J'en avais fait la demande la semaine dernière, sur quoi on m'avait répondu que l'on ne choisissait pas sa place. Présentement, j'ai du mal à croire à une coïncidence.

Une jolie jeune femme (différente de celle repérée la semaine passée), brune également, est là, attendant derrière le bureau. Tandis que je m'interroge sur son identité, je lui claque une bise : intimidée mais sourire aux lèvres. Discrètement, je parcours la feuille de présence et ne trouve pas son nom.

Mes horaires changent également : de huit à dix, de midi à quatorze et de seize à la fermeture.

« Ça te convient ? me fait la maire, présidente de mon bureau. De toute façon, il faut tourner par rapport à dimanche dernier. » Je lui réponds que cela m'importe peu, du moment que je participe. Parce que je suis volontaire, n'en doutez pas. Ma démarche s'inscrit dans la curiosité et l'engagement. Je souhaite connaître les rouages politiques de ma ville. On m'avait dit qu'il n'existait pas de politique à l'échelle de Plugu' ; il m'arrive d'être naïf, pas à ce point. La politique se joue à tout niveau d'une échelle, cette commune incluse, partant du postulat que la politique est inhérente à l'Homme. Qu'est-ce qu'ils veulent ? Me préserver ? Je n'ai aucun doute aussi que le fait d'être en poste à un bureau m'expose d'une part, me fait entrer d'office dans les calculs d'héritage du mandat qui débute, d'autre part (certains conseillers réélus ont clairement exprimé leur velléité de quitter leur poste avant les prochaines élections communales). La suite me donnera raison.

Mon poste change également, je suis celui à qui l'on tend sa carte d'électeur. La charmante brunette sort de l'isoloir et s'avance vers moi, carte en main. Je peux savoir enfin qui elle est (il y a quelques bons côtés à être assesseur). Je lis à haute voix le numéro de votant, on me donne le nom trouvé dans le cahier de signatures et s'ils correspondent, je déclare qu'il ou elle peut voter.

Je n'ai pas compté le nombre de fois où l'on m'a tendu son enveloppe au lieu de sa carte.

Les deux premières heures furent tranquilles. J'eus même le temps de voter. Enveloppe en main, je dépose la carte d'électeur sur la table, puis m'assieds. « Bonjour Monsieur », et le bureau d'éclater de rire. Je repasse devant l'urne et vote, dans la bonne humeur.

A dix heures je me fais remplacer. Je passe dans la cuisine et me goinfre de croissants et pains au chocolat, arrosés de jus de fruits. Le plus jeune de la liste d'opposition, vêtu exactement de la même manière que le précédent week-end (à l'exception des sous-vêtements que je me garderais d'évaluer) semble mal à l'aise à discuter avec les hommes mûrs l'environnant, tandis que je n'ai aucun souci à aborder les sujets de conversation en cours. Il me donne l'occasion d'analyser son comportement. La tête de liste de son camp l'a contacté car il y avait défection des fortes personnalités de l'opposition. Les tensions entre gens de droite avaient miné la campagne de celle-ci au point d'avoir mangé à tous les râteliers (comme Kevin qui se vit proposer une place sur la liste du maire sortant de Pont-l'Abbé, proposition refusée).

Le voici donc en ma présence, molle poignée de main et costume trop grand, qui dissimule son manque d'aisance, grignotant du bout des lèvres un croissant. Bien qu'il soit un adversaire, je souris intérieurement aux débuts de ce garçon, encouragé par une relève jeune. Je n'ai pas honte de dire qu'il eût plus de courage que moi, s'étant présenté sur une liste, subissant un fantastique baptême du feu malencontreusement (de son point de vue) terminé. Il m'a l'air franchement dépassé. Tout nouveau soit-il, je n'éprouve pas une once de pitié pour lui.

Je me suis assis un peu à l'écart pour lire. C'est un autre classique de la littérature russe, Anna Karénine de Tolstoï, que je viens d'entamer. La maire s'approche de moi et me demande ce que je lis. Je lui montre, elle remue de la tête en approuvant, et lâche un commentaire du genre qu'elle ne se risquerait jamais à plonger dans ce genre de littérature. Je lui rétorque que c'est limpide et facile à lire. Voilà bien un préjugé qui m'agace : plus le livre est volumineux, plus il apparaîtra indigeste. L'épaisseur n'a pas empêché Les Bienveillantes d'être un succès.

De midi à deux heures, plus grosse affluence de la journée, du moins dans notre bureau.

Puis nous partons déjeuner, même restaurant, pas tout à fait les mêmes personnes. A table, je suis entouré de conseillers fraîchement élus. Mon voisin de droite, un homme âgé, barbu, volubile et voulant convaincre de chacune de ses paroles, assaille de détails sur la conception kanake de la famille. J'écartais mon verre de sa zone d'éructation, de peur qu'il dilue le vin de ses postillons. Entre visions de jolies kanakes et vue sur le tarmac, il n'y avait pas photo, quoiqu'à la longue il m'ennuyât.

Un de mes anciens instituteurs déjeunait non loin de moi ; je pus écouter sa conversation animée ; il est connu pour être un chroniqueur régulier dans le Plugüen Mag' (le journal municipal, si vous préférez) au sujet du pays Glazig et plus particulièrement Plugu'. Bien que conscient de l'attention que je lui portais, il fit mine de ne pas s'en apercevoir ; une seule fois nos regards se croisèrent par mégarde, qu'il détourna bien vite. Je ne lui en veux plus d'avoir recommandé un redoublement à mon encontre (totalement immérité) à la fin de l'année de CM1 ; j'étais le seul qu'il intéressait sur l'astronomie, or lui préférait enseigner aux filles. Pourtant, il m'autorisait à feuilleter ses Ciel et Espace. Je me souviens encore de l'observation des taches solaires à l'aide d'une lunette et d'une feuille blanche, dans la cour d'école...

Sa discussion avait glissé sur l'horizon orientale et les flashs lumineux des éoliennes visibles la nuit jusque dans mon quartier (car nous habitons le même quartier). A la fin du repas, trois hommes dont lui s'étaient approchés de la baie vitrée et donnaient des repères pour localiser les éoliennes. Je m'approchai aussi, regardai et les trouvai. On en distinguait deux, moi quatre.

« J'en vois quatre. »

« Toi aussi tu en vois quatre ? » de sa voix passionnée, un peu distant.

« Oui » fis-je, léger sourire, léger serrement au cœur.

Après cela, nous retournâmes à la salle ; la maire avait pris ma chaise et ma fonction d'assesseur. Au vote, ma grand-mère fut suivie de quelques minutes par ma mère, toujours dans les derniers à remplir son devoir civique.

La fermeture des bureaux à dix-huit heures scelle l'élection. Le vice-président du bureau, me voyant m'éloigner, me rattrape et me demande de participer au bon déroulement du dépouillement ; j'accepte. Je n'acquerrai que plus d'expérience.

Après avoir recompté les enveloppes dix à dix et les avoir regroupées par cent, le dépouillement peut commencer. Me voilà à surveiller une table avec la femme d'un conseiller réélu, dont la fille fut dans ma classe en primaire, et une panique qui s'empare de moi. En effet, pas du tout informé des règles et dans l'ignorance des procédures à respecter en cas de triche à coup de chaussette ou de tout autre emm...bêtement, je m'attends à être pris de court à chaque instant ; c'était sans connaître la réactivité de ma collègue et l'habitude des dépouilleurs.

Nous fûmes la plus rapide des tables ; j'apportai la dernière enveloppe de deux bulletins que je départageai solennellement pour chaque bout de table, ce qui fit rire les dépouilleurs malgré le contexte. Ces deux bulletins-là entrèrent dans l'escarcelle de la maire. Plus les décomptes avançaient, plus les résultats se resserraient entre les deux candidats, ce qui n'était pas bon signe ; les résultats de l'urne du bureau numéro un étant à l'ordinaire largement favorable à la liste sortante, et surtout contenant les votes des résidents du propre quartier de la maire.

Peu après vingt heures, tout était terminé. Pas de panachage, un choix limité à deux personnes : ce fut rapidement exécuté. Je suis en face de la tribune, je discute avec ma collègue de tout et de rien, de rumeurs des autres bureaux pas très rassurantes.

La voix de la maire s'échappe des haut-parleurs. Fausse alerte, les résultats ne sont pas complets. Après des tripatouillages sur l'ordinateur, la maire annonce :

« Voici les résultats. Nombre d'inscrits : [...]. Nombre de suffrages exprimés : mille neuf cents [et quelques]. Pour les candidats : [nom de la maire], huit cents [et quelques]...

Dès que j'ai entendu huit cents, j'ai tourné la tête avec une grimace. La maire n'était donc pas réélue, et avait même obtenu moins de voix qu'au premier tour. Des applaudissements éclatent de toutes parts pour le vainqueur de l'opposition, hilare et réjoui comme un gosse. La maire amère continue :

« Je voudrais ici remercier les personnes qui ont voté pour moi, mon équipe qui a largement été réélue, ce qui veut bien dire que mon action pour la commune était légitime et reconnue de nombreuses personnes. » D'autres applaudissements retentissent, qui durent. La maire a le regard vide, affiche un petit sourire sans conviction.

« Par contre je ne remercie pas les cinq-six personnes qui s'en sont allés dès l'annonce de ma défaite, les créateurs de La Feuille de houx... » Les soudaines et forcées réactions indignées se transforment en huées et lazzis, mélangés à des applaudissements. L'intervention est de trop, à mon goût.

L'opposition saute de joie à enfoncer le couteau dans la plaie, désireux d'occulter leurs propres divisions ; c'est de bonne guerre. Le winner de la soirée n'en peut plus de montrer ses dents et sa bobine souriante, de serrer des mains, de digérer les compliments, d'avoir décapiter un groupe. L'assesseur pète-sec de la semaine dernière tente de faire participer un gamin à l'enthousiasme général ; elle paraît d'ordinaire si peu encline à l'humour que son entreprise échoue. Ma collègue est atterrée, surtout parce que la défaite propulse son mari en position de favori pour le poste de maire, celui-ci ayant recueilli le plus de voix au premier tour.

La foule s'éparpille, les groupes de même sensibilité se forment. L'annonce d'un buffet retentit au-dessus du brouhaha des discussions. Un nouveau me conseiller me rejoint avec la mère d'un ami ; celle-ci raconte :

« Je suis encore outrée de ce que [nom de l'opposant] avait dit à [nom de la maire] la semaine dernière, après les résultats ! « Ce n'est pas notre faute s'il te manque une voix. » C'est la meilleure ! Faut pas pousser ! »

Je distribue des boissons. A une dame (toujours femme de conseiller) que je connais, je propose un Caco-Calo®.

« Non merci... (Réfléchissant) Oh et puis oui, tiens. Donne-moi un. (Elle lance à la cantonade) Je bois un Caco en l'honneur des cons et de l'Amérique de Bouche, et puis merde ! (Et, se rapprochant de moi) Tu sais des Caco-Calo®, j'en bois trois par an, je n'aime pas beaucoup ça, alors je peux me permettre d'en boire un ce soir. (Sérieuse) Je t'avais dit la semaine dernière que des événements électoraux comme ça, on n'en vit qu'une seule fois dans sa vie. C'est une grande leçon politique ! »

Bon anniversaire Muriel

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