dimanche 23 mars 2008

Élections municipales 2008 - 1/2

Le réveil sonne à sept heures.

Aussi loin que je m'en souvienne, jamais je ne me suis levé volontairement à cette heure un dimanche. C'est pour ça que je somnole encore une vingtaine de minutes, puis m'extraie bien difficilement du lit.

Faut-il le préciser, je ne suis pas du matin.

Sorti de la maison, je remonte la rue ; dans le ciel blafard résonnent les huit coups de cloche. Je serai en retard de deux minutes.

Je me suis engagé à tenir un bureau de vote ; autant commencer par le début. Ma carte électorale était encore certifiée de Melun en décembre, sur quoi la matrone me fit la remarque, fort juste, que pour être assesseur il fallait pouvoir élire dans sa commune. Je m'étais donc déplacé pour être recensé électoralement un après-midi de 31 décembre, peu avant la fermeture.

On m'a affecté au bureau numéro deux. La veille, un conseiller est venu nous fournir la feuille pour que l'on sache où nous serions placés (ma mère fut au dépouillement des cantonales). Je salue quelques connaissances, le président du bureau me montre à quelles plages horaires je devrai assurer le service : de dix à midi, puis de quatorze à seize heures.

« Pas trop dégueu », pensai-je.

Sur ce, je vais faire mon devoir civique. En premier lieu, puisque j'y suis, les municipales : comme de nombreuses personnes dans la journée, j'irai dans le mauvais bureau, selon un ordre absurde de ceux-ci. Le dernier bureau est dans l'alignement de l'entrée, et en toute logique, les gens se dirigeront vers celui-ci, croyant aller voter dans le premier bureau.

Après un moment de recherche, on me signale que je me suis trompé de bureau, tandis que l'assesseur profite de sa découverte pour vouer aux gémonies l'organisation hasardeuse de la mairie. Connaissant l'individu, je peux vous affirmer qu'il aurait mieux valu qu'il s'occupe de donner à ses gosses une meilleure éducation, plutôt que de pester sur une erreur organisationnelle.

Je file aux cantonales. L'élection a pris place dans la grande salle de sport, où les participants se gèleront les gros orteils toute la journée. Je rencontre un ancien collègue de Ju-jitsu qui me raconte ses déboires entre le nouveau maître du dojo et ses fistons, devenus malades à force de brimades. Depuis, ils ont quitté l'activité, bien que la salle soit neuve et rencontre du succès. Les abrutis se croisent à chaque coin de rue.

Pas d'activité avant dix heures. Je pose quelques questions à mon président de bureau, que j'ai l'air d'ennuyer (il joue sa place au conseil municipal) ; j'apprends l'enchaînement d'un vote ; je lis « Crime et châtiment » de Dostoïevski ; je bavarde avec des connaissances qui me remercient de ma participation ; je remarque une brune inconnue au bureau d'à côté... J'avais fait part de mon souhait au président de tenir l'urne, finalement j'échouerai en bout de table à tenir le cahier de signatures. L'assesseur recevant la carte m'indique le numéro, ou le nom à défaut, et je répète le nom inscrit : sans cela, pas de vote.

De dix à douze, nous avons des trois bureaux la plus forte affluence de la journée. Tu parles d'un cadeau. J'avais pris le coup de main en peu de temps, donc ce n'était pas faute d'une certaine lenteur (que vous m'imputeriez, n'est-ce pas ?!) qui est en cause, mais le nombre soudain de votants. L'effet après-messe ? Cela restera un mystère à mes yeux.

Les dénominations pour les assesseurs sont partagés entre les listes et complétés par des volontaires, dont je faisais partie. Assis à côté d'une dame présente sur la liste d'opposition, l'accueil froid et hautain qu'elle me délivre me l'a fait vite classer parmi les mal-baisées. Analysant son naturel militaro-réglementaire (inspiré de MAM, à n'en point douter), je tente tout de même d'être conciliant, mais un épisode anéantit toute chance minime de rabibochage. Un électeur qu'elle connaît arrive, salue l'ensemble du bureau et des gens à côté, après avoir voté. N'ayant pas rendu sa carte d'électeur, elle attend, papier dans la main, qu'il revienne à elle. Lui discute juste à ma droite, je n'aurais qu'à la lui tendre. Partant de cette bonne intention, je fais mine de vouloir faire passer le témoin : bref regard glacial, maintien droit et lèvres pincées. Blanc-bec contre pète-sec. De sa malpolitesse je ne lui renverrai que des doigts d'honneur silencieux pendant la journée.

Puis, à midi, calme plat. Je me fais remplacer et je pars déjeuner, gratuitement cela va sans dire, au restaurant de l'aéroport. Une connaissance tient le bar et y sert ; je fais un brin de causette en grignotant des cacahouètes.

Étant à jeun, l'apéritif m'atteint rapidement. Le blanc et le rouge-qui-tache n'arrangeront pas les choses. Repas marin, ma foi très bon. Mes voisins et moi parlâmes de l'Inde, du corps ne suivant que de loin en loin la jeunesse intellectuelle (le corps en vieillissant ne conserve pas la même fraîcheur que l'esprit), de boîtes pharmaceutiques en déclin...

Je vide ma tasse de thé et un verre de rouge, et nous repartons. A quatorze heures, je reprends mon rôle d'assesseur, un brin décontracté. Le temps s'écoule, je dégrise.

A seize heures, j'ai terminé ma journée ; j'avais décidé de rester, néanmoins. Assis à l'écart, je continue ma lecture de « Crime et châtiment » ; le passage où Raskolnikov explique son article décrivant l'autorité supérieure de certains hommes sur le reste de l'humanité, ces hommes pouvant perpétrer des crimes que l'on passera sous silence car contribuant à une amélioration générale de l'ensemble des hommes. Appréciation que je ne partage pas : même si cela se base sur une volonté et prétextant une avancée globale, l'idée proviendra toujours d'un individu agissant au nom d'une population, si petite soit-elle. L'individualité qui écrase un groupe d'individualités. Ce que je ne peux accepter.

Une phrase de la fin de l'exposé du personnage principal (ou de Porphyre, je n'ai pas le texte sous les yeux) retient mon attention, d'autant plus qu'elle apparaît en français dans l'édition originale russe : Vive la guerre éternelle. Je pense que je l'utiliserai plus tard...

A l'approche de la fermeture des bureaux, la tension monte, les personnalités se crispent, sur des visages souriants l'anxiété se dégage de certains regards. D'autres paraissent confiants et répriment leur angoisse en riant et bavardant un peu trop fort.

Les bureaux sont désormais fermés, les tables de dépouillement sortent du parquet. Une ville comme Plugu' contient moins de 3500 habitants, ce qui signifie le panachage, c'est-à-dire la possibilité de rayer des noms sur les deux listes, d'en rajouter, le tout sans dépasser vingt-trois conseillers. Le dépouillement promet d'être long et rude, éprouvant pour les nerfs. Je suis avec un ami (que j'ai vu mugissant au berceau et qui aujourd'hui me dépasse quasiment d'une tête) pour discuter des résultats et tenter de glaner des tendances, maintenant que je n'ai plus accès à la tribune des résultats.

Au bout d'une heure, m'apercevant qu'on était loin de voir la fin, je rentre chez moi casser la croûte et décompresser un peu. Mon père indigné m'apprend que la procuration de mon frère n'a pu être acceptée car périmée depuis début février. Un ami me contacte sur Messenger et me raconte les élections en Corse, animées par quelques rafales en l'air de kalachnikov. Ambiance.

Vers vingt heures je retourne à la salle socioculturelle. Pas grand-chose de neuf. Un conseiller en campagne avec qui j'ai sympathisé me fait part d'une raclée envers l'équipe sortante dans le troisième bureau.

Le temps passe lentement à regarder la méticulosité administrative des personnes dépouillant les bulletins. La maire parcourt la salle en jetant des regards fébriles aux feuilles récapitulatives des votes. Ce visage tendu ne m'augure rien de bon.

Aux environs de vingt-deux heures, la dernière enveloppe de cent bulletins du bureau numéro un déverse son contenu. Mon ami à côté de moi, nous nous moquons discrètement du plus jeune candidat de l'opposition habillé chic : « Ne manque plus que le rouge à son nez et des pompons à ses chaussures pour voir un clown ! » En face de nous, trois femmes d'âge mur et de forte taille scrutent le moindre geste effectué sur la table de dépouillement. Les listes complètes sont mises d'un côté, valeurs sûres dans le décompte final, comparées aux bulletins panachés. Un assesseur recompte les bulletins sans raturage de la liste sortant, puis s'attaque aux enveloppes particulières. Tout à coup :

« Je crois que j'ai vu un nom rayé ! »

C'est une des trois triplettes de Belleville qui baragouine. J'ignorais que l'on pouvait ainsi se permettre d'intervenir. Cependant que l'assesseur vérifie une nouvelle fois la pile de la liste sortante non panachée, la femme s'explique avec force gesticulation, s'excusant par avance si elle a tort. Une légère lassitude se remarque sur les faces des assesseurs, suffisamment oppressés par un public en nombre, curieux et attentif.

« Ah oui, effectivement. »

Un bulletin sort avec seulement le nom de la maire rayé.

Mon ami me glisse à l'oreille : « C'est dégueulasse, y'a juste elle qui est rayée. »

Tout est terminé. Des essais micro annoncent l'imminence de la proclamation des résultats. Je me déplace avec mon ami sur la gauche de la scène, pour éviter d'être à proximité de l'opposition. Quelques longues minutes s'égrènent, je lance des vannes en compagnie de connaissances. La nouvelle que vingt-deux conseillers sortants sur vingt-trois sont élus dès le premier tour parvient à nous. La voix de la maire se fait alors entendre ; je l'examine, elle affiche un air contrit.

« Je vais donc proclamer les résultats. Nombre de votants : 2622. Nombre de votants ayant participé au vote : 2008. Nombre de blancs ou nuls : 96. Nombre de suffrages exprimés : 1912. Majorité de voix requise : 956. Majorité de voix pour être élu : 957. Voici la liste des candidats et de leurs suffrages : [nom de la maire] 956 ; ...

La maire n'est pas réélue, il lui manque une voix pour obtenir la majorité absolue !

Les vingt-deux autres conseillers de sa liste gardent ou trouvent un siège, la maire est désavouée. La liste d'opposition est ravagée, certains d'entre eux qui se voyaient enfin au conseil deviennent rouge à se contenir.

Malgré tout, la victoire est amère. Il a suffi d'une voix pour plonger dans l'incertitude et la confusion les larges vainqueurs de la soirée. A la descente de la maire de la tribune, les conseillers se rassemblent autour d'elle et lui prodiguent des marques de soutien et d'affection. L'animation est tout aussi étrange dans le camp d'en face, où la défaite mettra du temps à être digérée. Cependant pour le deuxième tour, leur stratégie se dégage et me vient rapidement en pensée : ce sera un choc entre les figures des deux listes, entre deux personnalités, et j'entrevoie le gouffre piégeur dans lequel l'esprit des gens s'enfoncera : humilier la maire, puisqu'ils en ont l'occasion. Je fais part de mon calcul à mon président de bureau que j'interpelle, celui-ci me regarde vaguement et repart sans réponse, la démarche hagarde.

Je verrais la maire s'effondrer en larmes entre deux discussions : « Ma liste est passée entièrement sauf moi, j'estime que c'est un succès. » J'ai rarement apprécié une victoire ressemblant de si près à un sermon.

Le buffet arrive bientôt, bien que les cœurs ne ressentissent que peu d'appétit. Les avis divergent sur les raisons de ce coup de semonce. Prudemment, j'avance devant le père réélu de mon ami que s'ils n'ont pas voté pour elle, c'est parce qu'ils ne l'aimaient pas et ne supportaient pas de la voir à ce poste. Mon interlocuteur réplique : « Mais non ! C'est parce qu'ils sont jaloux ! » Cinq minutes auparavant, j'apprenais qu'il était prêt à sacrifier sa place pour la maire. Vu que c'est impossible...

Je rentrais vers minuit moins vingt-cinq, accompagnant malgré moi deux hommes que je suivais de quelques pas en arrière, dans l'obscurité.

« Vraiment une bande de salopards ! Pour une voix ! C'est incroyable. »

« La feuille de houx a beaucoup pesé sur le vote, plus qu'on l'aurait cru. On l'a sous-estimée. »

La feuille de houx est une sorte de bulletin créé par des conseillers municipaux dissidents au sein de la majorité, ayant démissionné collectivement en 2005 suite à un profond désaccord régulier avec la maire, et qui depuis un semestre, délivrait donc ce bulletin de format A4 où, brodant des conjectures floues sur les manœuvres municipales, ils attaquaient la maire. J'avais souligné en cours de journée son importance à un nouveau conseiller qui m'avait répondu qu'on allait bien voir, ce que j'ai pris comme un accord qu'il partageait l'inquiétude de l'invisible portée de la feuille de houx sur les choix des électeurs.

« Qu'est-ce que vous allez faire maintenant ? »

« On va se réunir lundi, et on va voir la stratégie à adopter. On en a un peu discuté, on va attaquer sans être méchant ceux qui sont à la tête de la feuille de houx, en mettant l'accent sur le bon bilan général affiché par la maire. »

J'ai grimacé quand l'homme évoqua l'attaque contre les créateurs de la feuille. Ce serait comme vouloir tuer à l'aide d'une masse un lièvre courant sous des ronces. Bref, une stratégie trop délicate dans le peu de temps alloué à l'entre-deux tours.

Les deux hommes se séparèrent. Encore sous l'emprise d'une douce euphorie d'avoir été au cœur de cet événement communal, je rentrai.

2 commentaires:

Gauvain a dit…

On s'y croirait, quel conteur !!

Tu te rends compte que tu arrives à instiller du suspense, des enjeux, de l'émotion pour l'élection municipale à Plugu ???!!
Là, je te tire mon chapeau ,-)

Yohann a dit…

Merci de ne pas trop te foutre de moi !
XD

Oui, ce journal électronique recèle de textes qui sont malgré tout ma propriété. Si vous souhaitez en utiliser un, contactez-moi grâce à l'adresse suivante : sacred.fire.blogspot@gmail.com
Merci !
Yohann ©®™☺☼♥♫≈(2003-2009)