mardi 23 août 2005

Deuxième partie : de mercredi à jeudi

Devinez par qui je fus réveillé ?
Bingo, le tousseur. Je lui aurais volontiers enfoncé un couteau à dents dans la gorge pour touiller dans son larynx défaillant.
La journée s’annonçait trépidante. On s’est aperçu qu’on était installé sous un nid larguant des fientes fraîches. La patronne a beuglé de sa terrasse quand elle nous a vu décaler notre tente. Après renseignement (plutôt pragmatique la bonne femme), elle décide de nous changer d’emplacement. Matthieu comme un grand se charge de la déplacer seul tandis que j’allais me débarbouiller en boitillant et grimaçant.
Programme d’aujourd’hui : petite randonnée au-dessus d’Eze-Village… avec mon pied en charpie, ce fut une promenade de santé. L’arrière-pays me sembla plutôt désolé, des arbustes se battant avec de la caillasse, le tout cuisant au soleil. Et aucune ombre vraiment salutaire. De la garrigue aussi loin que notre regard portait.
On bougeait alors vers la principauté de Monaco, l’Enclave Artificielle par excellence. On traversait un village appelé La Turbie, nom qui me rappelait vaguement quelque chose, et dont la notion me revint totalement en mémoire quand je surpris une pancarte en forme de maillot de football monégasque, avec inscrit « Centre d’entraînement ». Je dois dire que l’idée de faire baver Antoine de rage m’a immédiatement traversé l’esprit… :-) Nous nous garons un peu plus loin, remontons jusqu’à l’entrée. L’idée en question consistait à tourner en dérision l’ASMFC : le temps que Matt prenne une photo de moi-même me moquant de la pancarte, nombre de voitures circulaient, et l’une d’entre elles (à l’immatriculation monégasque) me klaxonna vigoureusement. « Sont susceptibles dans le coin ! »Tandis que nous empruntions l’entrée du centre, une voiture s’arrêtait à notre hauteur et un homme nous informait que l’entraînement en question ne débuterait que vers 17h00. Trois heures à tuer. Bang !
Je peux affirmer que rouler au bord de falaises que rien n’arrête sauf la mer n’est pas très rassurant (en particulier avec Matt comme conducteur. Ne dit-on pas : « Matt au volant, mort au tournant » ? ;o) ). Néanmoins nous y arrivions sans encombre. Les drapeaux blanc et rouge fleurissaient un peu partout, me filant une nausée en continue (pas aidé par les lacets à l’intérieur de Monte-Carlo). Le concessionnaire Maserati à l’entrée donnait le ton de l’endroit que l’on traversait. On y effectua seulement un passage : pas de temps et de place disponibles. On s’arrêtait loin en hauteur pour pouvoir prendre quelques photos : le palais Grimaldi, le stade Louis II…
On retournait à la Turbie pour se poser en attendant l’heure. Puis on retournait au centre d’entraînement. Alors que nous amorcions à pied le solide virage ascendant, un car s’arrêta, et des jeunes aux couleurs monégasques en descendirent. Ne pouvant les contourner, nous nous joignirent au groupe. Une fois en haut, les gardes nous prirent tout d’abord comme des joueurs du centre de formation ! Se rendant compte de leur erreur, ils le prirent avec humour : « Ah ! Les visiteurs c’est dans cette direction. Non ! Par là ! (on prenait le même chemin que les jeunes) Faites gaffe sinon on vous emmène travailler avec eux ! Hahaha ! » Comme quoi ça confirmait ce que je pensais de l’ASMFC : ils embauchent vraiment n’importe qui pour jouer dans cette équipe… ;o)
On poireautait quelque temps avant que les joueurs de l’équipe A ne débarquent. L’environnement était comme j’avais pu le voir à la télé : la falaise a été carrément creusée pour permettre d’installer deux terrains et demi de football, sans compter la salle de musculation et les autres installations (qui étaient en chantier, comme l’équipe elle-même :-) ). J’avais prévenu mon frère un peu avant de l’endroit où je me situais, et Matt reçoit un SMS sur son portable. Il est 17h30, l’information délivrée me laisse perplexe : Zidane reviendrait en équipe de France ? C’est tellement impensable que je n’en croie rien. Les joueurs arrivent les uns après les autres : Meriem, Squillaci, Roma (renfermé), Maoulida et Sorlin (les ex-Rennais ensemble), Givet, Adebayor, Warmuz (tout sourire), Chevanton, Rodriguez (avant qu’il ne parte !), Plasil (en béquilles)… Et l’entraîneur, Deschamps, qui, je dois bien le dire, tirait un peu la gueule (je le sus plus tard dans un France Football que Deschamps avait dit à ses joueurs de se taire sur le retour de Zidane, et qu’il n’avait pas été dans la confidence, ce qui je pense ne lui avait pas plu sur le coup). Qu’importe les gueules, je photographie à tout va. Qu’est-ce que Antoine aurait aimé être là… Matt et moi lui laissons un message un tantinet crâneur sur son répondeur.
L’entraînement continue, c’est assez physique mine de rien. J’enrage un peu de ne pouvoir être à Tola Vologe pour voir les Lyonnais se préparer, au lieu de ces guignols-là. Au bout d’un moment on se lasse de regarder ces manchots jouer au ballon derrière leur grillage doré. On est retourné au camping prendre une douche bien méritée. Mon pied meurtri se rappelait à mon bon souvenir, et je n’étais pas pressé de voir ce qu’il en était.
Une autre mauvaise nouvelle nous attendait au camping : un des arceaux de la tente s’était brisé net. La canadienne s’était transformée en tepee… Je me souviens très bien de m’être dit : « J’en rirais plus tard, j’en rirais plus tard… » J’étais encore épuisé, mon pied m’élançait et je me sentais comme accablé… Matt voulait finalement aller se baigner, je lui ai dit que j’avais assez donné, que j’allais me doucher puis tenter d’écrire quelques lignes.
Matt parti et une fois à la douche, je constate que la blessure et ma chaussette ont fusionné en un magma de tissu et d’humeurs corporelles… Passage sous l’eau chaude pour décoller le tout. Je reviens à la tente et je me rends compte que mes affaires d’écriture sont restées dans la voiture… J’ai à peine la force mentale pour râler.
Je remarque qu’un couple d’Allemands s’est installé devant nous. Gros-Nibards et Tête-de-Sboob comme je les surnommais en moi. Je n’attendais pas Matt pour me coucher, mais les Allemands ne se taisaient pas malgré l’heure réglementaire. Ils se turent quelques minutes quand Matthieu revint, puis se remirent à papoter. En fait, plus leur bouteille de pinard se vidait, plus l’ivresse montait, ce qui accentuait la voix de Tête-de-Sboob et les gloussements ineptes de Gros-Nibards. J’avais beau gueuler, faire « Chut ! », rien n’y fit, ils caquetèrent aussi tard que possible.

Réveil la tête dans le c** (on ne change pas les bonnes habitudes), je remarquai que les deux tas de bidoches ne semblaient pas dans leur assiette. Bien ! Que leurs tempes résonnent comme des djembé activement utilisés et je serai vengé. En fait, ils ne restaient qu’une nuit, ce qui fait qu’ils n’avaient rien à f***** du voisinage. Belle attitude.
Par contre, les deux Italiens à notre gauche se montrèrent très amicaux, en particulier un. Lorsqu’il revint du toilettage, Matt me dit qu’il avait de nouveau rencontré A. (le mec rencontré mardi soir) et que celui-ci nous proposait d’aller à la plage cet après-midi en compagnie de A., sa copine. Moi je me voyais plutôt en train de gribouiller au calme, tout en me reposant…
Mais avant ça, Matt et moi avions convenu d’un repérage des lieux la veille du concert, ainsi que des emplacements des parkings disponibles. Le Palais Nikaïa étant complètement de l’autre côté de Nice par rapport à notre situation géographique, nous décidons de prendre l’autoroute, quitte à débourser quelques centimes, parce que la perspective de traverser dans toute sa longueur la Promenade des Anglais ne me réjouissait pas trop.
En chemin et toujours en voiture, nous voyons des panneaux avertissant de bouchons le 05/08 pour cause de concert de U2… J’en souriais. Soudain je distingue le Nikaïa. On passe devant en roulant à lente allure : façade bombée me rappelant la Fac de Lorient. Puis comme on s’en éloigne, je vois une partie de la scène en construction… Je regarde bouche bée, en pensant que demain je serai quelque part dans cette enceinte. Matt jette des coups d’œil, je lui dis en rigolant « Regarde ta route ! ». Et on retourne au camping.
Matt descend voir A., et en revient accompagné. Tout en discutant, A. fait le forcing pour que je vienne à la plage. Au bout d’un moment j’accepte parce que je n’avais pas pensé que je pouvais aussi écrire à la plage. J’ai invoqué la fatigue.
Matt m’avait prévenu, la copine d’A. n’avait rien d’un canon de beauté ; je lui répondis que ça m’était égal. Nous attendions près de leur 206 quand A. puis A. arrivèrent… Une rousse, version rubis, avec des lunettes. Damned ! Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai failli éclater de rire : j’avais spontanément imaginé que c’était Clément en femme avec une teinture rousse… Désolé de la comparaison Clem’s, mais elle avait les mêmes grands yeux que toi. Je ne crois pas l’avoir dit à Matthieu ça… Mais bon, assez de dénigrement, ça n’apporte rien.
Les A. nous racontaient leur vie : ils vivaient à Lyon près de Gerland (argh…) ; lui, il avait arrêté l’école à 14 ans (ça promettait pour le niveau des discussions) et bossait comme maçon depuis un moment (il a mon âge). Quant à elle, elle était comptable dans une PME. Nous ? Etudiants en Histoire, passage en 3ème année. Nous nous posâmes sur la même plage que mardi soir, un peu plus loin car Matt avait trouvé un coin tranquille hier soir.
Nous passâmes l’après-midi sur la plage. Je restais à l’ombre des palmiers. J’ai tenté d’écrire, mais je n’y arrivais pas. Les deux A. me demandèrent successivement ce que j’écrivais, mais je leur fournissais la même réponse évasive. C’est peut-être A. qui inhibait mes tentatives, car comme il l’avoua fièrement plus tard, il détestait lire. Pour passer le temps, je me mettais à la chasse aux pigeons, ce qui causait l’hilarité générale. Bon, au moins, je servais à quelque chose : faire le pitre.
La suite de la journée était la visite d’un château perché, celui d’Eze-Village, en compagnie de C. et I. (I pour Innommable car j’ai oublié le nom du garçon…), des Rennais dont les A. avaient fait la connaissance au camping (A. mâle se disait Breton, et ça l’amusait de fédérer tous les Breizhad autour de lui). Après échanges de paroles (des gens normaux !!), C. et moi nous nous découvrons une connaissance commune de Pluguffan. Le monde est petit…
On se promène dans le château, les magasins nous cernant de tous côtés. Une espèce de Mont-Saint-Michel (du moins à l’intérieur) sur la Côte d’Azur.
Au détour d’un croisement m’apparut une image superbe, celle que je garderais de cet endroit : un arbre au tronc et aux branches courbées d’une façon étrange, coincé entre deux façades, qui recouvrait la rue et la terrasse surélevée d’un restaurant. Vu du dessous, j’étais subjugué par la beauté du cadre : l’arbre s’échappant de l’emprise murale pour retrouver l’espace et la lumière du soleil. Ça m’enchanterait d’en faire un poème… Les arbres et moi, une formidable histoire d’amour. :o)
A. mâle faisait son show, avait toujours son mot à dire, et pour montrer qu’il avait quand même sa sensibilité propre, il ponctuait chacune de ses remarques d’un « magnifique ». Il utilisait ce mot tellement souvent que c’en était barbant (ou rasoir, selon), le taux de concentration de ce terme était plus élevé que celui des adverbes dans les discours de Chirac… Tout était magnifique : le restaurant de Monte-Carlo où le couple A. avait dîné la veille, les pizzas « magnifiques », l’addition… « magnifique » elle aussi, l’église du château (alors qu’elle était d’une laideur…), la vue, les décorations florales, les voitures de luxe garées devant le restaurant chic… Le tout ponctué d’un ciel aux teintes bleues « magnifiques ».
C. et I. nous quittaient pour aller manger dans un restaurant sur la côte (il n’y a que ça des restos !). Les A. nous invitaient alors à dîner au camping en leur compagnie. Pourquoi pas ?…
Image assez étrange de trois hommes épluchant des patates au bord d’une falaise, alors que le soleil disparaissait derrière l’horizon. Bon repas, malgré les commentaires et histoires grivoises d’A. mâle : ce bonhomme a des préjugés racistes… Des jeunes qui viennent de s’installer au niveau supérieur font un sacré boucan ; A. parle d’aller les faire taire s’ils continuent à brailler au moment d’aller se coucher, quand tout à coup une énorme flatulence déchire les airs (et le caleçon du mec, vu la puissance du coup de grisou !), ce qui fait rire tout le monde dans le camping (plus tard on saura qu’il s’agissait d’un coussin-péteur… Petits joueurs.) Bien sûr, A. mâle enchaîne sur le sujet, ce qui a tôt fait d’envoyer la conversation a des profondeurs abyssales, avec aucune chance de remontée. Je dois dire que je n’étais pas mécontent de rentrer me coucher, j’avais la tête un peu ailleurs…
A chacun sa bande de jeunes bavards, cette fois c’est celle installée à notre droite qui m’empêcha de dormir convenablement. Déjà que les A. m’avaient lessivé le cerveau… Les Allemands avaient levé l’encre, mais la relève se défendait bien. Eux au moins m’entendirent gueuler, mais ça ne les décontenancèrent pas plus que ça. Pour un peu, j’aurais envié Matt et son audition, mais je chassais cette infâme pensée de ma tête, me rappelant l’épisode de l’hôpital.
« Bon sang de bois ! » m’exclamai-je en moi.
Je venais de me souvenir ce à quoi j’allais assister demain soir… C’est qu’ils m’auraient presque fait oublier la raison de ma venue à Nice !

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