Il existe un génocide d'êtres vivants dont on ne parle jamais.
Je peux me tromper en écrivant « jamais » ; lisez jusqu'au bout, vous jugerez après.
Il s'agit du microcosme jardinier.
Hier [lundi dernier, NdY] je passais la tondeuse lorsque je songeai avec une brusque honte mêlée d'un repentir immense que j'étais l'exécuteur d'un nombre incalculable de bestioles et autres collemboles.
La question qui surnageait au-dessus de mes réflexions fut la suivante : « Quelles sont les raisons pour que l'on en vienne à uniformiser la hauteur d'une pelouse ? » Cependant, une autre question, bien plus fondamentale celle-là, vint bousculer la précédente : « Et d'abord, à quoi peut bien servir une pelouse ? »
A cela j'y vois deux raisons.
La première est d'ordre esthétique. Le vert renvoie à la couleur préjugée de la nature ; être entouré de surfaces de gazon opère donc comme un rachat de conscience, en particulier pour les citadins : on importe avec soi un peu de la campagne. En affirmant cela, on se fourvoie complètement. Citez-moi un seul endroit au monde où l'on retrouve une aire d'herbe rase à l'état naturel. Mis à part la toundra (et encore), une pelouse naturelle revient à dire un cadavre vivant. Mais cela rassure, d'avoir près de soi un coin d'herbe, ce vert odorant après une tonte et l'éparpillement des déjections canines. Ces parcs doivent contrebalancer les teintes mornes et grises des immeubles ; ils ne font que jurer et proférer des insultes à l'égard des tours, renvoyant et accentuant ainsi leur image de désolation sociale. L'humain répond à l'humain. Pour mieux dissimuler cet état de fait (pour « égayer les villes », diront certains), on en vient à recouvrir les toits de plate-bandes végétales, ou à faire pousser des plantes sur les façades (par exemple le musée du Quai Branly à Paris). Je ne sais que penser de cela : est-ce une avancée ?
La seconde raison invoquée est d'ordre psychologique. Vous me diriez : la première aussi était empreinte de psychologie, et vous n'auriez pas tort. Néanmoins, le point sur lequel je souhaite vous amener est celui de la peur, la peur inconsciente de la sauvagerie, du primitivisme, d'un retour en arrière. Ère primitive pas si éloignée que ça, à ce propos. Tellement peu éloignée qu'elle n'est l'affaire d'un instant ; on peut prendre en exemple la géniale scène de 2001 : l'odyssée de l'espace, au moment où le primate, tout à la joie en y découvrant une arme, lance le fémur en l'air qui retombe sans transition aucune en un module flottant dans l'espace. Un parterre de fleurs est une zone contrôlée, une pelouse tondue est une pelouse soumise, un arbre élagué est un colosse docile. Est-ce vraiment la Nature ? Veut-on son épanouissement ou bien rassurer le besoin d'asservir qui anime les hommes ? Voir un jeune arbre soutenu par des témoins m'a toujours fait frémir d'horreur. Sous prétexte de le protéger des intempéries, on lui offre un carcan qui le fragilisera d'autant plus parce qu'il ne se sera pas renforcé en s'exposant aux phénomènes naturels. Il en résultera un tronc trop mince, et le jour où il se fracassera sur une bagnole par un coup de vent irrésistible, la faute en incombera aux services municipaux, alors que le problème était pris à l'envers dès le départ. Et ce charivari coûtera de l'argent... De l'argent ! A croire que tous nos maux tournent autour de l'argent. L'ultime artifice ! L'argent consacre le règne de l'artificiel, offrant un rempart bien mince.
Face à cet omnipotent levier de persuasion, que vaut le microcosme jardinier ?
Apprécieriez-vous d'être mis à mort par les lames d'une tondeuse ?
Pas plus que vous.
Voudriez-vous d'une brousse comme jardin où vivrait une vipère ?
Non plus.
Aviez-vous le sentiment de défigurer votre jardin en y laissant marguerites, pissenlits et autres boutons d'or s'ouvrir au soleil ?
Au contraire.
Il y a plusieurs étapes d'un terrain vague à un jardin. Il ne faut pas humaniser à outrance, c'est ce que je pense.
5 commentaires:
Tout ça pour nous dire que t'avais une flemme énorme de tondre la pelouse, parce que ton père a déboulé dans ta chambre alors que tu profitais, le regard hagard et la bave aux lèvres, d'une grasse mat' imméritée, en te criant aux oreilles : "c'est pas quand on ne verra plus la maison derrière la jungle qu'il faudra songer à tondre cette maudite pelouse !!!!"
Vil fainéant...
Même pas vrai d'abord !
Il était quatre heures de l'aprèm !
Moi j'ai trouvé la solution : je tonds plus rien ! :oD Zat.
Même pas le maillot ?
:oD
euhhhhhhhhhhhhh ? mdr. Je t'ai tendu la perche, tu as su la saisir! Zat.
Enregistrer un commentaire