mercredi 30 avril 2008

Grève des imprimeurs dans l'Ouest, me baragouine le crapaud qui officie en boulangère.
Ce qui configure l'absence du Canard enchaîné.

Ma journée est foutue.

jeudi 17 avril 2008

Il existe un génocide d'êtres vivants dont on ne parle jamais.

Je peux me tromper en écrivant « jamais » ; lisez jusqu'au bout, vous jugerez après.

Il s'agit du microcosme jardinier.

Hier [lundi dernier, NdY] je passais la tondeuse lorsque je songeai avec une brusque honte mêlée d'un repentir immense que j'étais l'exécuteur d'un nombre incalculable de bestioles et autres collemboles.

La question qui surnageait au-dessus de mes réflexions fut la suivante : « Quelles sont les raisons pour que l'on en vienne à uniformiser la hauteur d'une pelouse ? » Cependant, une autre question, bien plus fondamentale celle-là, vint bousculer la précédente : « Et d'abord, à quoi peut bien servir une pelouse ? »

A cela j'y vois deux raisons.

La première est d'ordre esthétique. Le vert renvoie à la couleur préjugée de la nature ; être entouré de surfaces de gazon opère donc comme un rachat de conscience, en particulier pour les citadins : on importe avec soi un peu de la campagne. En affirmant cela, on se fourvoie complètement. Citez-moi un seul endroit au monde où l'on retrouve une aire d'herbe rase à l'état naturel. Mis à part la toundra (et encore), une pelouse naturelle revient à dire un cadavre vivant. Mais cela rassure, d'avoir près de soi un coin d'herbe, ce vert odorant après une tonte et l'éparpillement des déjections canines. Ces parcs doivent contrebalancer les teintes mornes et grises des immeubles ; ils ne font que jurer et proférer des insultes à l'égard des tours, renvoyant et accentuant ainsi leur image de désolation sociale. L'humain répond à l'humain. Pour mieux dissimuler cet état de fait (pour « égayer les villes », diront certains), on en vient à recouvrir les toits de plate-bandes végétales, ou à faire pousser des plantes sur les façades (par exemple le musée du Quai Branly à Paris). Je ne sais que penser de cela : est-ce une avancée ?

La seconde raison invoquée est d'ordre psychologique. Vous me diriez : la première aussi était empreinte de psychologie, et vous n'auriez pas tort. Néanmoins, le point sur lequel je souhaite vous amener est celui de la peur, la peur inconsciente de la sauvagerie, du primitivisme, d'un retour en arrière. Ère primitive pas si éloignée que ça, à ce propos. Tellement peu éloignée qu'elle n'est l'affaire d'un instant ; on peut prendre en exemple la géniale scène de 2001 : l'odyssée de l'espace, au moment où le primate, tout à la joie en y découvrant une arme, lance le fémur en l'air qui retombe sans transition aucune en un module flottant dans l'espace. Un parterre de fleurs est une zone contrôlée, une pelouse tondue est une pelouse soumise, un arbre élagué est un colosse docile. Est-ce vraiment la Nature ? Veut-on son épanouissement ou bien rassurer le besoin d'asservir qui anime les hommes ? Voir un jeune arbre soutenu par des témoins m'a toujours fait frémir d'horreur. Sous prétexte de le protéger des intempéries, on lui offre un carcan qui le fragilisera d'autant plus parce qu'il ne se sera pas renforcé en s'exposant aux phénomènes naturels. Il en résultera un tronc trop mince, et le jour où il se fracassera sur une bagnole par un coup de vent irrésistible, la faute en incombera aux services municipaux, alors que le problème était pris à l'envers dès le départ. Et ce charivari coûtera de l'argent... De l'argent ! A croire que tous nos maux tournent autour de l'argent. L'ultime artifice ! L'argent consacre le règne de l'artificiel, offrant un rempart bien mince.

Face à cet omnipotent levier de persuasion, que vaut le microcosme jardinier ?

Apprécieriez-vous d'être mis à mort par les lames d'une tondeuse ?

Pas plus que vous.

Voudriez-vous d'une brousse comme jardin où vivrait une vipère ?

Non plus.

Aviez-vous le sentiment de défigurer votre jardin en y laissant marguerites, pissenlits et autres boutons d'or s'ouvrir au soleil ?

Au contraire.

Il y a plusieurs étapes d'un terrain vague à un jardin. Il ne faut pas humaniser à outrance, c'est ce que je pense.

vendredi 4 avril 2008

Il y a maintenant cinq années que ce journal a été créé.
Je vous ai pour cela offert les deux derniers chapitres (les VIII et IX) d'un livre que je terminerai probablement un jour ; deux chapitres qui donnent une force et un sens à l'ensemble de ceux déjà composés, car ils ferment et ouvrent, tout simplement.
A dire vrai j'ignore la suite de ce texte, bien que j'en ai les grandes lignes. Comme je vous l'ai déjà dit, ils contribuent à raffermir l'univers que je me suis construit. Et comme les différents récits sont dépendants les uns des autres, se répondent les uns aux autres, je préfère arrêter celui-là (du moins, publiquement. Héhé !) car il est tel que je le conçois bien plus fédérateur que mes autres projets.
Voilà. "Bonne" lecture !

IX – La maison du silence

Heureuse sans vraiment savoir pourquoi, comme réconciliée avec soi-même, l'enfant se laisse lentement, tranquillement tomber dans l'eau. Légèrement penchée vers l'avant, elle a encore pied, et la petite frayeur de couler disparue, ne laisse que sa tête et ses épaules émerger. Elle découvre le moyen de se rééquilibrer à l'aide de ses bras, ainsi que de se déplacer plus vite.

En station debout, Gaya, paisiblement bercée par les vagues, le sourire aux lèvres, savoure son corps immergé à hauteur d'épaules. Fermant les yeux, elle prend plaisir à distinguer le sable cotonneux, les subtiles différences de températures de l'eau, la suspension libre de ses bras, ses cheveux la frôlant et la chatouillant, le soleil sur ses épaules nues, les picotements du sel sur la peau de son visage... « Comme c'est bon ! »

C'est le genre d'expérience que l'on souhaite prolonger encore un peu...

Des pensées voltigent dans sa tête, se percutent, s'amoncellent ; elle se revoit cracher l'eau de mer, tousser en tentant de reprendre son souffle, et s'interroge alors sur le moyen de plonger sans se noyer. Rouvrant les yeux, Gaya va plier se nuque vers l'arrière, s'immergeant le plus qu'elle pourra en laissant ses narines à l'air.

L'eau lui entre dans les conduits auditifs ; Gaya n'entend plus que des des bruits assourdis. Elle repasse ses oreilles au-dessus de la surface, et un vacarme s'y engouffre.

Eblouie par la lumière et la bleu intense du ciel, Gaya clôt de nouveau ses paupières et se remet dans la même posture, le nez seul au vent.

Des coups onctueux et réguliers retentissent à l'intérieur de son corps ; elle discerne bien plus nettement sa respiration, qu'elle va s'appliquer à rasséréner ; d'autres sons lui parviennent, lointains et étrangement proches, mélodieux et propres : si elle-même ne peut y vivre, une vie sous-marine existe, profonde, mystérieuse, attirante...

Pinçant son nez, Gaya plonge, s'aidant de ses membres comme elle peut pour descendre davantage. Elle ouvre prudemment les yeux et, bien qu'ils lui démangent, observe : le monde est flou autour d'elle ; ses cheveux se balancent au gré de ses gestes et des turbulences marines, l'enveloppant d'un tunnel ocre et mouvant, ouvrant une fenêtre claire et bouleversée. L'enfant dégage ses narines et balaie sa chevelure : où qu'elle portât son regard, la ligne d'horizon mélangeait l'eau et le sable ; l'opacité est un bienfait et un préjudice, le visible et l'invisible sont interdépendants.

Son cœur tambourine pour elle et pour l'océan. Suspendue entre deux mondes, les genoux repliés, elle crée un vide en elle, le vide premier ; le silence marin l'isole.

~ ~ ~

Sa tête crève la surface de la mer. Elle prend une inspiration et, malgré la souffrance dans sa cage thoracique, elle lance ce cri formidable au ciel, fruit de tout son être.

Puis, à travers ses hoquets, elle rit.

VIII – Un œuf miroir

Chaque pas crée une explosion moelleuse mélangeant eau et sable.

La température de la mer est nettement plus agréable que celle de la rivière.

L'eau lui chatouille l'arrière des genoux. Gaya s'arrête et, jetant un coup d'œil à ses pieds, remarque quelque chose qui s'interpose entre elle et le fond sableux. Cette chose bouge, indépendamment de l'onde.

Gaya s'approche en se penchant mais, stupeur ! la chose fait de même ! L'enfant a un mouvement de recul. Contrariée, intriguée aussi, Gaya fait quelques pas plus loin. L'eau opère une croissante résistance à son avancée.

La marche dans la mer est plaisante, les courants tièdes s'enroulant autour de ses membres lui donnent la sensation d'être enveloppée dans un coussin d'air chaud, cependant la présence de la chose tend à gâcher cela. D'un mouvement vif, elle jette une jambe tendue en-dehors de l'eau, soulevant d'innombrables gouttelettes éclatantes et accessoirement la chose des profondeurs – du moins elle le croit.

Elle replonge sa jambe dans les tourments aquatiques ainsi engendrés. Attend que ça se clame. Lève les yeux au ciel, qui ne comprend que de petits nuages dociles, aucun volatile.

Entre les bulles qui s'éloignent, la chose n'a pas disparu. Interloquée, l'enfant tend un bras ; la chose effectue aussi un geste. Véritablement agacée, Gaya relève brusquement la tête et va plus avant.

Avec l'eau à hauteur de taille, se mouvoir demande davantage d'efforts. Les pointes de ses cheveux s'étalent sous la surface tels des rayons dorés. Le fond de la mer n'est pas uniforme ; le flot du sable est intimement dépendant aux vents caressant les eaux.

Tout à coup, Gaya plonge. L'intention était de surprendre la chose, mais c'est l'enfant qui sera plus grandement surprise. Ressortant tout aussi soudainement de l'eau, elle crache, elle tousse, elle suffoque ; elle a bu la tasse.

Une douleur diffuse lui prend les narines quelques instants, Gaya respire goulûment par la bouche. Une cascade de cheveux dégoulinant lui barre la vue tandis que le goût salé de la mer lui agite la langue. Elle pose une main sur son thorax alors que la douleur s'y déplace. Indifférente aux mouvements des vagues l'enfant s'apaise. Respirer sous l'eau était une erreur qu'elle ne rééditera pas ; elle n'est pas apte à le faire, donc à y vivre.

Gaya écarte ses cheveux et à travers la surface troublée aperçoit la chose. Ne ressentant plus aucune répulsion ou animosité à son égard, l'enfant prend une expression pensive. Puis elle fléchit des genoux et doucement, lentement, rapproche ses mains de ce qui semble être une figure ; la chose procède de la même manière, mais Gaya n'est plus aussi étonnée qu'auparavant. Les rides aquatiques froissent un instant l'image ainsi que deux gouttes dégringolant de son nez ; redevenue assez nette, Gaya l'examine attentivement.

Une première idée lui traverse l'esprit, sans pouvoir s'amarrer.

« Non. »

A rester fixer ce visage, Gaya s'enfonce dans une étrange torpeur. Une de ses mains caresse délicatement une joue ; en face aussi, en même temps.

« Peut-être... »

Une mèche s'échappe et lui passe devant les yeux ; de l'autre main elle la rejette en arrière : là aussi, il en fut de même.

Cela en réalité achève de la convaincre. C'est son reflet, c'est elle-même, Gaya.

Oui, ce journal électronique recèle de textes qui sont malgré tout ma propriété. Si vous souhaitez en utiliser un, contactez-moi grâce à l'adresse suivante : sacred.fire.blogspot@gmail.com
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Yohann ©®™☺☼♥♫≈(2003-2009)