jeudi 20 avril 2006

Le tour de ma vie en une heure !

(ou comment déprimer à vitesse grand V)

_Il est 14 heures. Ma chambre est de plus en plus oppressante, la lumière de mon bureau est morbide. J’enfile godasses, falzar, écharpe, et je sors.
_Je prends le chemin de gauche pour entrer dans le bois ; à droite c’est trop bruyant, quelque chose est en train d’être construit. Combien de fois n’ai-je pas emprunté ce chemin !… Comme par hasard, un feu de Pé Jean, un de ces feux recouverts de brindilles vertes mettant trois jours à se consumer et à enfumer le quartier. Bouffon !
_Je suis d’humeur maussade. Marcher me permettra peut-être de récupérer un semblant de moral. Tu parles ! Je ne vois vraiment pas ce qui pourrait me sortir de cette nappe de brume, et je n’ai pas non plus vraiment envie. Je ne me complais pas dans cet état, mais à cet instant pour avancer je n’ai rien d’autre. Rien.
Risible
Imbécile,
Ennuyeux
Nabot.
_Rien, donc. C’est moi.
_Je traverse le ruisseau que j’ai blessé tout au long de ma jeunesse. Après un bond majestueux d’une trentaine de centimètres, me voilà de l’autre côté. Quand tu veux, tu peux ! (…)
_Je n’ai même pas envie de rire de ma condition.
_J’aborde le champ de Mr Tymen. Les images de mes potes pourchassant les vaches cul à l’air ne me font même pas sourire. Sur ma droite, je revois les deux arbres qui ont symbolisé mes aventures dans ces bois, et qui ont disparu à jamais : un chêne et un châtaignier, hauts de plus d’une quinzaine de mètres. Il n’y a que dans le chêne que je réussissais à grimper.
_Je longe le bord du champ terreux, la tête baissée. Une boule de poil mélangée à quelques os : une belle chiure de chouette. Le crâne blanc de la musaraigne sort de la terre. Etre ou ne pas être le néant, that is the question.
_J’erre dans l’immense champ. J’aperçois une pierre au loin. Je m’y avance bon gré mal gré. Je monte dessus. Je comprends la signification de mon attirance pour cette pierre : elle est inutile. Je suis inutile. Je suis un champ de terre où il ne pousse que des pierres. Je ne me suis jamais senti aussi inutile de ma vie qu’à ce moment, sous ce ciel lourd, gris et nuageux, perché sur ce plat caillou.
_J’ai vraiment atteint le fond du puits, je continue pourtant à creuser.
_Repoussé par les vents, je descends et continue ma traversée du désert breton. Une coquille d’huître décolorée s’incruste dans ma vision. Objet incongru. Ah. Tiens. Je le suis aussi, incongru. Une étrangeté du paysage.
_Je marche toujours. Je crois que c’est ce que je fais de mieux, même si j’ai l’impression de boiter en permanence. Une sorte de canard boiteux. Quelque chose dans ce goût-là.
_Je sors du champ, j’emprunte un chemin caillouteux. Du pareil au même.
_Un pommier rabougri trône seul. Rabougri, quel mot curieux. Il lui va bien. Un rayon de sympathie sort de mon cœur (j’en ai un, oui). S’éteint très (trop) vite. Le peu de volonté que j’avais en ma possession a plié bagages. Les femmes et les enfants d’abord !
_Sur mon chemin, de nouveau un cadavre de musaraigne. Décidément, c’est ma journée ! Un peu plus frais celui-là : les yeux ont certes disparu mais la peau est intacte.
_Je ramasse une fine branche de noisetier de la main droite. Je fouette l’air, qui persifle. Puis je balaye le sol de ses feuilles, petites branches… Ma main gauche est dans ma poche, elle joue aux boules chinoises avec ma montre. Aucun effet.
_Et sans discontinuer, en bruit de fond, le chantier. Je décide de monter voir de quoi il s’agit. Influencé par un truc extérieur, c’est plutôt bon signe ! Surtout pour voir qu’est-ce qui avance alors que je reste sur place.
_Je croise la mère d’un copain qui lui a aussi des ennuis existentiels de pacotille. C’est la promenade des Damnés ! Je lui dis bonjour.
_Le chantier n’est autre que l’extension de mon ancienne école primaire. Je m’en fous complètement.
_Je remonte le chemin raide et pivote à droite, là où se trouvent un bac à sable rempli de feuilles ainsi qu’une vieille balançoire en poutres de bois vermoulues. Une corde coupée à mi-hauteur y pendouille, relique d’un temps perdu.
_Je n’ai rien pour moi. Je suis un bac rempli de sable et de feuilles mortes humides et en décomposition. Pourquoi les gens paraissent-ils tous sûrs d’eux autour de moi ? Suis-je le seul à perdre du temps à me morfondre ? Comment puis-je m’arrêter de penser à tout ça ? Suis-je né absurde ? Abstrait ? Décalé ? Suis-je réellement d’une utilité à quelqu’un ? Pourquoi je me prends la tête sans arrêt avec des problèmes de merde ? Pourquoi je me pose ces questions de merde ?
_Y a-t-il véritablement une personne capable de me répondre ?
_Je quitte mon homologue le bac à sable. Les neuf mètres du chemin me séparant du bitume sont constellés de pissenlits et de pâquerettes. Ça tombe bien, j’en suis au ras. C’est à désespérer d’avoir encore de l’espoir.
_Il est 15 heures.

_Tout de même, ça fait du bien de vider son amertume. J’évite à tout prix ce genre de vague à l’âme, mais quand ça te frappe de plein fouet, on ne peut l’esquiver. Je me sens un peu mieux. J’aurai ce week-end pour me changer les idées, a priori : le concert de Kardu et la soirée chez Ronan. Oublier le plus possible pour repartir.
_Et, pour une fois, vivement l’été.

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