samedi 27 septembre 2008

Intermédiaire XV

Extraits de notes retrouvées dans le carnet de voyage numéro 9 de Mme Machenka ...

Jour 0
Je pars de Saint-Pétersbourg le ... 19.. [...] Je suis allé regarder la mer du golfe de Finlande, avant de monter dans le train . [...]

Jour 1
Suis arrivé à Moscou peu après midi. Le Rossiya Express part à 14 heures de Iaroslavskaïa. Au loin je peux distinguer le Kremlin et ses toits en forme de meringues. [...]

Me voilà dans « l'Oural » ; ils surnomment le train ainsi jusqu'à la chaîne de montagnes. J'ai de la chance : il n'y a personne avec moi dans la cabine, personne qui ne ronflera ; de toute manière, il est ardu de dépasser le plafond sonore du wagon. Mais je n'en aurais pas fait un pataquès, car je suis en train de réaliser un de mes rêves. [...]

Jour 2
J'ai failli rater l'obélisque, avant d'arriver à Ekaterinbourg, marquant la séparation entre l'Europe et l'Asie. En ce qui me concerne, il n'y a qu'un continent : l'Eurasie. Difficile de prêcher un tel discours, de nos jours. [...]

Nous nous arrêtons souvent dans différentes gares ; le Transsibérien est réellement une ligne de vie, c'est admirable.

Jour 3
Ai sympathisé, malgré mon vocabulaire rudimentaire, avec un groupe de Russes joviaux originaire d'Irkoutsk. [...] On a fini tard dans la soirée à coups de vodka dans une ambiance extraordinaire. [...] Je crois que j'ai tapé dans l'œil de l'une des femmes ; elle s'appelait Machenka.

Je la traverse en été, mais en toute saison, la taïga regorge de paysages d'une splendeur inouïe. Plus du tiers de la superficie du pays en est recouverte. L'Amazonie et la forêt boréale sont les deux poumons de la planète (on a trop tendance à oublier le second poumon) ; pourvu que ça dure. [...]

Jour 4
Ai traversé le pont ferroviaire de Krasnoïarsk, enjambant le fleuve Ienisseï. Ne dois pas oublier que ce fleuve coule vers le nord, à l'instar du Nil, et se jette dans l'océan Arctique. [...] C'est assez émouvant.

Les Russes et moi avons remis ça. Je ne sais pas si je supporterai une troisième fois de me mettre minable !

Jour 5
Quelle tristesse ! Mes compagnons russes me quittent : Da svidaniya ! (1) On s'est englouti une dernière rasade de vodka [...].

Le train contourne par le sud « l'Œil Bleu de la Sibérie », le lac Baïkal. Un trésor pour tout amoureux de la nature qui se respecte. [...]

Jour 6
L'ambiance est morose depuis le départ de mes amis, mais les couchers de soleil compensent leur absence (un petit peu). Le relief uni des steppes a été remplacé par des paysages voisins de ceux qui embellissent le Canada. [...] La lumière vespérale qui colorait le compartiment m'a particulièrement ému, ce soir-là, car c'était la dernière fois que je dormais ici – je m'habituais aux cahots – et elle me rappelait les cheveux de Machenka. [...]

Les rails côtoient le fleuve Amour et la frontière chinoise. Je n'ai pourtant observé aucun mandarin. [...]

Jour 7
[...]
Je me prépare à quitter le Transsibérien. Vladivostok sera mon terminus, en toute logique. J'aurais parcouru près d'une dizaine de milliers de kilomètres, à travers toute la Russie. Un voyage proprement inoubliable. [...]

Ai vu Vladivostok ayant les pieds trempés par la mer du Japon. La boucle est bouclée.


1 : Au revoir !

mercredi 24 septembre 2008

Intermédiaire XIV

- C'est vrai, il en a trouvée une sous le préau.
- Dégueu !... Elle était vivante ?
Gaëtan et Guillaume sont deux copains depuis la maternelle. Ils ont de la chance : jusqu'au collège, ils sont restés dans la même classe. La cloche vient de sonner, et c'est en bavardant qu'ils récupèrent leurs cartables, à l'abri dans les casiers.
- Ouais. Elle s'accrochait avec ses ailes, mais comme elle était mourante, elle devenait de plus en plus faible, tu vois. Et puis à la fin ce crétin l'a gardée dans son sac et il l'a tuée.
- Quel enfoiré ! Il mérite la peine de mort pour assissa... assani... pour meurtre de chauve-souris !
Ils suivent de loin un camarade de classe qui leur sert de guide malgré lui, car ils n'ont aucune idée du numéro de la salle qu'ils doivent rejoindre.
- On a quoi, déjà ? questionne Guillaume.
- 13 h 30... Histoire géo.
- Oh, purée ! Non ! Comment il m'a gonflé, la dernière fois !
- Hum, prévient Gaëtan.
- Guillaume C., encore une fois, retentit une voix de stentor, tandis que l'intéressé se fige. « Même pas encore vautré sur votre chaise que vous vous faites déjà remarquer. Allez, avancez, avant de prendre la poussière. »
Dans le brouhaha les écoliers s'assoient, sortent leur trousse et affaires. Le professeur rappelle brièvement les grandes lignes de la leçon précédente en interrogeant quelques-uns ; les deux compères sont miraculeusement épargnés. Pour un temps.
« Les Romains avaient développé un système d'acheminement de l'eau extrêmement bien conçu, afin de ravitailler les villes parfois très éloignées. Quelqu'un peut-il me donner un exemple de monument ayant besoin d'eau ? Des fontaines, d'accord... Oui ? Des thermes, très bien ! On pouvait s'y baigner en public, et le maillot de bain n'existait pas à l'époque (il éleva la voix pour inciter au silence, en finissant sa phrase), sans distinction entre riches et pauvres. Cette eau arrivait en ville par des aqueducs, de longues voies d'eau, comme le pont du Gard, aujourd'hui le plus grand pont-aqueduc de l'époque encore sur pied... »
Alors qu'il écrivait Gard au tableau, le professeur fut interrompu par un ricanement rendu sonore par contraste dans le silence soudain.
- Hennissement reconnaissable entre mille. Messire Guillaume le Conquérant, fit-il avec emphase, laissez-moi me saisir de cette occasion pour vous poser une question. Trouvez-moi au moins un mot qui finisse par « duc », comme dans aqueduc.
- Euh...
- Euduc, non. Eunuque, c'est presque bon.
- Moi, M'sieur ! Moi ! Moi ! murmurait en gigotant une gamine, le bras levé.
- J'attends, Guillaume.
- Oléoduc, M'sieur, lâche tout bas la gamine.
- Mademoiselle Morgane, puisque vous semblez aimer les interrogations, je vous en donnerai une toute personnalisée.
Guillaume tente une réponse en baissant la tête et levant timidement les yeux.
- Trouuu...
Dans l'éclat de rire général, le professeur tonne :
- Je n'en attendais pas moins de vous, Monsieur C. Vous m'apporterez votre cahier de vie à la fin de l'heure.
- M'sieur ! se récrie l'élève. C'est pas juste ! Vous m'avez piégé !

samedi 20 septembre 2008

Intermédiaire XIII

Le jeune homme marchait d'un pas résolu et mesuré. Focaliser sur la mécanisation du balancement de ses jambes était le seul moyen d'évacuer les images des derniers instants et de l'inhumation de sa mère. Il n'avait plus aucune attache à Iwakuni, dans la province de Suō ; ce n'est pas pour autant qu'il renierait sa terre.

Le rōnin (1) se rendait à Osaka. L'on pouvait le croire rōnin, malgré le fait qu'il n'eût pas le crâne rasé sur le devant ; un toupet retenait ses cheveux, et une mèche tombait sur son front. L'assurance qu'il dégageait, tout en exsudant son deuil, pouvait être assimilée à de l'orgueil du fait de son jeune âge ; la longue et large épée retenue par une courroie de cuir dans son dos refermaient néanmoins quelques bouches douées en persifflage.

La première école dans laquelle il s'était exercé n'avait guère été conciliante à son égard : le style Tamita se fondait sur le maniement du sabre court ; aussi, quand il s'arma d'un sabre long, par souci de ne point imiter l'enseignement du sensei (2), ce dernier le congédia séance tenante. L'apprenti ne s'en formalisa pas, il eut au contraire la confirmation de la vision bornée des maîtres.

Il avait ensuite cherché Kanemaki Jisai ; avec plaisir sut-il que lui également avait rejeté le style Tamita. Kanemaki Jisai l'accepta, et durant quatre années s'était entraîné sans vouloir un seul instant s'épargner. Quatre années d'intense labeur, quatre années qu'il n'oublierait pas. Mais avant d'achever sa formation, sa mère l'avait rappelé, car elle se mourait.

La fierté maternelle se lisait dans ses yeux ; elle ne pouvait pas se déplacer quand il s'entraînait à terrasser des hirondelles en plein vol et fendre des branches de saule, près du pont Kintai.

Il ne pleura pas, au moment où son dernier souffle fût rendu ; il était un homme qui n'avait pas connu les atermoiements de l'adolescence ; il lui avait semblé qu'un vide venait de naître en son sein, et que l'unique voie pour apaiser ce feu dévorant n'était autre que celle du samouraï. Avant d'expirer, sa mère lui légua l'épée.

Maintenant, Sasaki Kojirō avait trois buts : se mettre au service d'un puissant daimyo (3) qui serait assez intelligent pour comprendre les ambitions du jeune rōnin qu'il recevrait ; créer sa propre école au nom du style qu'il venait d'élaborer, le style Ganryū ; devenir le plus grand samouraï du pays. Sur ce dernier point, rien ni personne ne l'en empêcherait. Mais il doutait qu'il y eût quelqu'un de sa hauteur.


1 : samouraï sans maître
2 : maître, professeur
3 : plus puissant gouverneur féodal, du XIIe siècle jusque l'ère Meiji

N.B. : Sasaki Kojirō était un guerrier historique, ayant vécu de 1585 à 1612. Son grand rival, tout aussi réel mais néanmoins légendaire, Miyamoto Musashi, le tua lors d'un duel. Les deux personnages se démarquèrent par leur façon d'utiliser les sabres : Kojirō utilisait une lame de 90 centimètres, exceptionnellement longue, tandis que Musashi se battait avec deux sabres. Kojirō possédait une technique propre appelé Tsubame Gaeshi, soit « imiter le mouvement d'une hirondelle ».
Aujourd'hui, il existe une statue de Sasaki Kojirō à Iwakuni, ainsi qu'un pont construit alors spécialement pour le passage des samouraïs ! Mais il fut bâti en 1674, c'est-à-dire bien après la date supposée de cet Intermédiaire ; autant éviter les anachronismes trop évidents.
Pour plonger au cœur de l'histoire de Miyamoto Musashi et de cette époque japonaise, lire Musashi, en deux parties intitulées La Pierre et le Sabre suivi de La Parfaite Lumière, de Eiji Yoshikawa. C'est cependant une histoire bien plus romancée que ce qu'il s'est vraiment passé, mais ça vaut son pesant de noix de cajou.
Dédicacé à Ronan.

mercredi 17 septembre 2008

Intermédiaire XII

La piste de bitume, creusée sur ses deux bas-côtés, avait à peine la largeur adéquate à une circulation de front pour deux vélos. La plaine était recouverte d'une végétation rase, accentuant le sentiment de solitude. Le vent chargé du sel marin s'exprimait en fouettant, par bourrasques brèves, tandis qu'il baffait plus violemment les cumulus gris, les accompagnant au large, et révélant une voûte céleste d'un bleu sombre.

Francesca, jeune italienne née à Gênes, était en train de marcher sur cette piste, située sur la grande île volcanique perdue au milieu de l'Atlantique-Nord. Alors que ces camarades des bancs universitaires préféraient voyager en Irlande, en Écosse ou en Allemagne, tergiversant jusqu'au dernier moment, quitte à débourser au-delà du raisonnable, Francesca, elle, avait tenu avec une tranquillité quelque peu désarmante à poser ses valises en Islande, un voyage prévu de longue date.

Depuis toute petite elle était passionnée par tout ce qui touchait aux pays scandinaves, de près ou de loin ; histoires, langues, gastronomies, etc. Un goût si prononcé pour une culture si éloignée géographiquement, de surcroît pour une latine, avait à maintes fois attisé la curiosité d'autrui. Selon elle, et sa mère corroborait sa version, l'explication se résumait en la rencontre avec un livre qui avait conçu une nouvelle naissance chez la fillette, une naissance intellectuelle ; ce livre avait été écrit par Selma Lagerlöf et s'intitulait « Le Merveilleux Voyage de Nils Holgersson à travers la Suède ». Voyager sur une oie, il était impossible pour elle de dénombrer la quantité de rêves que cela lui avait inspirée.

Un an auparavant, Francesca avait effectué un tirage au sort pour désigner le premier pays nordique qu'elle parcourrait ; le billet « Islande » avait jailli du chapeau. Elle s'extasia tout de suite sur ses chances d'assister à une éruption volcanique en pleine nuit ; les nombreuses photos qu'elle en avait vues provoquèrent plusieurs soupirs d'impatience.

La pancarte affichait « Brúin milli heimsálfa », ce qui signifiait « pont entre deux continents » ; elle touchait au but de son après-midi. Le sable noir remplaçait peu à peu la flore pauvre de la péninsule de Reykjánes. Le pont sobre, planché et métallique, apparut devant elle ; le symbolique Miðlína brúin.

Elle s'y arrêta en plein milieu, à cheval entre la plaque européenne et la plaque américaine. Elle observa le rift exposé ici au soleil, les nuages qui galopaient ; Francesca s'y sentait bien ; quelques pas et elle franchissait ce qui équivalait à un immense océan, plus au sud.

« Mine de rien, l'homme apprend, se dit-elle. Là où il nécessitait une caravelle, il lui faut maintenant comprendre sa planète pour atteindre un autre continent. »


N.B. : pour saisir l'ironie du texte, il faut savoir que Christophe Colomb était Gênois.

samedi 13 septembre 2008

Intermédiaire XI

- Cette goélette me fait remettre en mémoire le poème L'Albatros de Baudelaire.
- Ça ne me dit rien.
- Baudelaire ? Tu n'as pas étudié « Les Fleurs du mal » en classe ? Fantastique recueil de poésie, doublée d'une censure, à l'époque de sa parution.
- Bien sûr que je connais Baudelaire, mais de là à connaître l'intégralité de ses œuvres...
- Eh bien L'Albatros est un classique, tu devrais le lire. Le premier quatrain décrit l'oiseau dans les airs, c'est-à-dire dans son élément ; le deuxième nous le montre sur le pont du bateau, désarçonné et malhabile ; le suivant voit l'albatros être humilié par l'équipage, tandis que dans le dernier quatrain l'auteur - le Poète - se compare au volatile.
- Et pour quelles raisons Baudelaire se comparerait-il à un albatros ?
- Ils sont tous les deux des maîtres dans leur domaine respectif, le ciel et la poésie, mais une fois à terre ou en dehors de leur milieu naturel (entre guillemets, naturel), ils se retrouvent à la merci de n'importe quel bougre d'âne. Audacieux, non ?
- Oui, sans aucun doute. Je lirai ce poème. Apprendre de nouvelles choses aide à devenir humble, j'ai tendance à le croire.
- Et je te remercie de m'avoir embarqué avec toi au Musée de la Marine, c'est réellement un endroit chargé d'Histoire, et j'adore ça !
- Je t'en prie. Oh ! Viens voir cette maquette ! C'est celle de la frégate La Muiron. Ça te tente, une petite leçon d'histoire ?
- Avec plaisir.
- Napoléon Ier a utilisé la frégate grandeur nature pour rentrer en France, après la Campagne d'Égypte, en 1799. Elle lui a porté chance car elle lui a permis d'éviter les Anglais en Méditerranée. Depuis lors, il lui a vouée un vrai culte, et quelques années plus tard il commanda la fabrication d'une maquette de La Muiron. Regarde-moi cette œuvre, d'une exécution d'une finesse...
- Mais pourquoi un tel traitement de faveur ?
- Lors de la bataille du Pont d'Arcole, Jean-Baptiste Muiron, aide de camp du général Bonaparte, s'était jeté en travers de son supérieur pour protéger son supérieur, à qui la balle était destinée. Muiron en est mort. Tu peux comprendre que La Muiron devienne spéciale aux yeux de Bonaparte.
- Oui, je vois. Napoléon... Je pense que cet homme-là, tu l'amputes de son pouvoir, il n'a plus de raison d'être.

mercredi 10 septembre 2008

Intermédiaire X

- Ouh ! C'est lourd !
- Pour bâtir quelque chose de grand, tu ne dois pas ménager ta peine, lui objecta le fermier.
- Encore merci, M'sieur !
L'exploitant regarda s'éloigner le petit garçon, le sourire et les yeux dans le vague.

Martial, dix ans, haut comme trois pommes et un abricot. Il passait l'été chez ses grand-parents, et comme chaque année, revoyait sa grande copine Sabine, avec qui il partageait les plus grandes aventures. Leur aire de jeu s'étendait loin tout autour des propriétés ; seul le franchissement du large cours d'eau ne leur était pas permis. A cet âge-là, soit l'on respecte l'interdit sans broncher, soit l'on ourdit un complot dans le plus grand secret.

Sabine dut partir trois jours pour revoir ses cousins ou des tatas, il ne savait plus ; ce qu'il savait, par contre, c'est que pendant ces trois jours, il allait s'ennuyer à mourir et devenir intenable pour son entourage ; encore fallait-il qu'il en eût conscience.

Sabine, le matin de son départ, lui avait alors dit :
« J'ai une idée. Et si tu fabriquais un pont pour traverser le ruisseau ? Comme ça je pourrais traverser sans être mouillée, comme une princesse ! »

Martial avait distraitement écouté la fin de la phrase (« Quelle princesse ? »), car l'idée du pont l'avait tout de suite mis des puces dans les jambes. Sabine partie, il avait immédiatement commencé son ouvrage.

Peu après le déjeuner du troisième jour, il s'était précipité chez le fermier du coin, qui lui avait généreusement donné une palette, qui constituerait le dernier élément de l'édifice. Martial l'avait traînée sur un kilomètre et demi, affrontant ronces et orties, et maintenant il la déposait entre la grosse planche et la terre du rivage, cérémonieusement. Une fois bien calée, le visage illuminé d'une satisfaction légitime, Martial s'arma de patience, pour la raison qu'il attendrait le retour de Sabine pour fouler ensemble la terra incognita.

Il revint au milieu du pont, solide sur ses fondations de briques, et mima un agent de la circulation : « Non Monsieur, s'il vous plaît, on ne peut pas traverser, l'inauguration n'a pas encore eu lieu. »

Il s'interrompit lorsqu'il vit en face de lui (le ruisseau s'élargissait en une large mare d'eau tranquille) un éclair bleu plonger dans l'eau et en ressortir très vite. Il s'agissait d'un martin pêcheur tout à son affaire alimentaire, mais Martial l'ignorait. Émerveillé, il resta un long moment à admirer ce spectacle.

lundi 8 septembre 2008

Une aventure de la Grumch et Daisy #9

Comme tous les soirs, la Grumch* patrouille dans les rues de Pleug'** avec Daisy, son corniaud mi-griffon mi-poisson pané (je vous mets au défi d'y trouver une arête).

Aujourd'hui, l'évadée belle.
Marine, jeune demoiselle de sept ans, voisine estivale à l'Île-Tudy, adore accompagner la Grumch et Daisy dans leurs périples. Immense privilège qui lui est accordée : elle peut tenir Daisy en laisse. La Grumch la couve d'un œil averti mais bienveillant.
La chienne, de par son sang griffon, tout excitée par l'odeur du gibier qui foisonne dans la végétation environnante, brutalise la petite fille en exerçant une forte pression sur la laisse.
« Une fois, Daisy et moi avons vu un chevreuil dans les bois. Tu vois qui est Bambi ? Eh bien c'est le même. Et le même soir, un renard nous est passés devant, comme ça, tranquillement, en trottant, à vingt mètres devant nous ! J'ai raté une belle photo. »
« Dans Bambi, celui qui m'fait rigoler, c'est Pan-Pan ! »
Attentive à ce que la Grumch raconte, Marine détend un peu l'emprise sur la anse ; débusquant un lapin, Daisy bondit soudain après lui ; la petite lâche un cri et la laisse.
La chienne a poursuivi sa proie dans les ajoncs accrochés à la dune, et Marine, les poings recroquevillés sur la poitrine s'immobilise face aux fleurs jaune d'or serties de piquants redoutables. Au regard suppliant la Grumch rassure :
« Ce n'est pas grave, nous allons la retrouver. Daisy ! Reviens ici tout d'suite !... Écoute, on l'entend fouiner. Par là ! »
La laisse s'est prise autour des troncs des arbustes touffus, dans la chasse effrénée de Daisy. La Grumch la ramène à elle et la gronde (« Vilaine fille ! »), et console Marine, qui restait silencieuse ; la gamine rassérénée ne tarde pas à retrouver sa joie enfantine.
Et c'est pourquoi, depuis cette promenade, mon aïeule rumine de moins en moins dans le vide.

* interprète le rôle de la Mamm Gozh dans « Bienvenue chez les Breizhoù »
** est mutée à l'Île-Tudy en été

Kenavo ar wech all !

samedi 6 septembre 2008

Intermédiaire IX

- Winston ? glapit Zed, lorsqu'il entendit un craquement dans la forêt, tout proche. Il hocha la tête, se traitant de jerk. La forêt est pleine de vie, diurne et nocturne ; nos sens hormis la vue, légitimement handicapée par l'absence de source lumineuse, sont bien plus attentifs la nuit aux stimuli ; c'est ce dont Zed était le jeu.

Il était assis à proximité d'un foyer crépitant et de son paquetage ; les deux hommes s'étaient installés un campement devant l'entrée d'un pont en béton situé en plein cœur de la forêt de Whanganui, en Nouvelle-Zélande. Le chemin qui y menait avait été particulièrement éreintant, même avec les deux chevaux, car sur la piste la forêt reprenait peu à peu le dessus. Ils avaient comme but de bâtir une ferme avec l'aval du gouvernement, mais il ne devait pas y avoir foule dans le coin, ils n'avaient croisé âme chrétienne qui vive.

Winston avait parsemé la route, avant d'arriver au pont, de trappes, histoire de capturer quelque viande fraîche. Pour l'une des prises, il s'était agi d'un kiwi brun, bestiole à plumes commune de la région ; avec un peu de chance, il y aurait un gros œuf en prime à l'intérieur.

Zed et Winston s'étaient rencontrés pendant la Première Guerre mondiale, mobilisés au nom du sacro-saint Commonwealth et de la défense de la couronne britannique. De retour dans l'Île du Long Nuage Blanc, les deux frères d'arme étaient restés en contact. Winston aimait bien Zed, bien qu'il ne fût pas une lumière ; c'est Zed qui proposa à lui et sa famille de l'accompagner pour monter une exploitation dans le Whanganui, au moment où il sût pour l'opération gouvernementale. Ils partiraient en pionniers quand leurs femmes et enfants les rejoindraient peu de temps après. Winston avait accepté, voyant la première occasion depuis des années de voler de ses propres ailes.

Il émergea de l'ombre forestière, portant les pièges et le dîner.

- Allez Zed, plume-moi ça, fit-il en posant le tout à terre.

Zed se mit à l'ouvrage, et Winston, s'allumant une pipe, considéra le pont qui s'élançait telle une rampe vers l'obscurité.

- Rafraîchis ma mémoire, Zed, où mène ce pont ?

- Nulle part, s'esclaffa son compère. Non, je t'assure, nulle part, ajouta-t-il sur la défensive. C'est son nom : the Bridge to Nowhere.

L'instinct de survie développé pendant la Guerre, jamais vraiment estompé, avertit Winston d'un mauvais pressentiment, au moment où il reporta son regard dans les ténèbres d'au-delà du pont.

vendredi 5 septembre 2008

Ici, ça souffle !
L'autre nuit, la pluie est tombée si soudainement qu'elle m'a réveillé. Terrible. Montaigne écrivait dans ses Essais qu'il aimait être réveillé la nuit pour pouvoir se dire qu'il n'était pas l'heure de se lever, et qu'il pouvait encore roupiller quelques heures. Bon. Je n'aime pas que quelqu'un me réveille en pleine nuit, mais quand cela arrive accidentellement, c'est assez plaisant.

jeudi 4 septembre 2008

Tellement habitué à son porte-monnaie, on connaît son contenu jour après jour. Si l'on y ajoutait une pièce de 50 centimes, vous sentiriez la différence, mais que diriez-vous ? Quelle est la première impression qui vous viendrait à l'esprit ? Que l'on vous a piqué de l'argent ? Ou que l'on vous en a rajouté ?

mercredi 3 septembre 2008

Intermédiaire VIII

« Très chère U.

Quand je suis sortie de l'appartement, je ressentais une haine si forte que j'aurais fait fondre un glacier avant de refroidir. Jamais je n'ai été aussi en colère contre quelqu'un, et si ma colère était si intense, c'est peut-être parce que ma déception également atteignait des profondeurs abyssales.

Une question revenait sans cesse : pourquoi m'infliger ça, à moi ?

J'ai erré dans Brest un temps indéfini ; plus rien n'avait de sens, à ce moment. Ce coup de poignard m'avait tellement saigné que, ivre, je divaguais dans les rues. J'en ai croisé, du monde, certains tentaient même de m'interpeler, mais je les repoussais systématiquement. M'épancher sur les épaules d'un inconnu n'était pas profitable, je l'aurais cogné de dépit en crevant l'abcès, abcès qui n'avait de cesse de regonfler puisque les mêmes pensées cauchemardesques tournaient en boucle dans mon crâne.

Comment vivre séparées, après ce que l'on a vécu ensemble ?

La passion qui nous animait a-t-elle disparu ? Comment cela est-il possible ? Comment cela a-t-il pu arriver aussi vite, me tomber sur le coin de la gueule avec une force si inattendue ?

J'ai marché, marché, marché... La tête prise dans les mains. Parfois quelqu'un me klaxonnait, je devais mordre sur la chaussée. Et je suis arrivée au pont Albert-Louppe, pour te donner une idée de la longueur de ma randonnée.

J'ai posé les mains sur la rambarde ; tellement de désespérés ont franchi ce pas, avant moi ; je les comprends à présent. Le vide est si attirant, il vous aspire comme un vulgaire siphon ; la vue est si belle, au coucher du soleil, qu'on voudrait qu'elle se prolonge pour l'éternité. Il y a même un cormoran qui s'est posé à une vingtaine de mètres de moi ; il s'est ébroué ; et je n'oublierai jamais l'image de son envol : ce superbe volatile d'un noir d'onyx plongeant jusqu'au ras de l'eau et partant vers l'ouest... S'il me l'avait demandé, je n'aurais pas hésité une seconde à le suivre. J'aurais tellement aimé que tu fus à mes côtés pour l'admirer ; j'en pleurais si fort.

Mais l'on s'en remet toujours. Attenter à ma vie n'aurait pas changé grand-chose, je pense, sauf à traumatiser mes proches, les livrer à l'incompréhension du geste et le questionnement sans fin. Si tu veux me retrouver, je suis retourné à Lambé. Si tu veux encore de moi. Je t'y attendrai.

Chaleureusement,
M. »


N.B. : depuis longtemps j'ai confondu le pont Albert-Louppe (l'ancien pont à l'entrée de la ville) avec celui du Bouguen, le Pont des suicidés. La confusion s'est révélée ici, mais « Alea jacta est ! », je ne modifierai pas le texte.

mardi 2 septembre 2008

Greffe du zèle

Le Canard enchaîné, édition du 27 août 2008
Tous droits réservés.
J. C.


Encore une sublime trouvaille islamiste ! Le conseil de l'ordre des médecins égyptiens, que de mauvaises langues informées disent très infiltré par l'organisation des Frères musulmans, vient d'interdire « la transplantation d'organes entre des personnes de religions différentes ». Une décision que les coptes, les chrétiens d'Égypte (aux alentours de 8 % de la population), estiment bien sûr, et avec quelque bon sens, dirigée contre eux. De source musulmane autorisée, le Coran ne dit naturellement mot de la question.

Interrogé par « La Croix » (20/8), Hamdi El Sayed, le président du conseil de l'ordre, qui peut interdire un praticien d'exercice, joue la bonne foi surprise : « Ce n'est pas une décision confessionnelle. Nous l'avons prise pour empêcher le commerce des organes. » Justification chantournée qui ne convainc évidemment pas la communauté copte, dont divers membres se proposent de saisir le Conseil d'État. Tout en se demandant : « Lors d'une transfusion de sang, faudra-t-il écrire sur les bocaux : "sang chrétien" et "sang musulman" ? »

L'apartheid médical restait à inventer. C'est (presque) fait chez « notre ami » Moubarak...
Plus bêtifiants, plus bruyants, plus baveux que jamais, ils signent leur retour :
les GOSSES.
*cri d'une femme terrorisée* suivi de *babillage de bambin adorable* (note : inverser l'ordre de ces deux samples est tout aussi efficace)
Existants dans l'unique but de te réveiller à 9 heures du matin au son de leurs pleurs provoqués par un bobo imaginaire (*soupirs d'une foule de mamans attendries*), ils n'hésitent pas à pousser le bouchon de cérumen plus loin en portant sur les nerfs leurs maîtresses respectives (*rugissement de lion*).
Alors que tu frôles la cage (*hurlements de singes excités*), pardon, le grillage de la cour, c'est en toute innocence qu'ils te lancent un « Bonjour ! » encourageant de politesse pour la suite de leurs existences (*vivats accompagnés d'applaudissements*).
Le soir, vers 16 h 30, avançant d'un pas assuré, la démarche devient hésitante lorsqu'apparaît aux abords de l'école une horde de mamans prolixes (*chœur de meuglements*) et de grand-mères émotives (*braiments exaspérants*) qu'il te faut traverser les yeux aux aguets et la main sur la garde.

« Les gosses », saison 2008/2009. La chasse est ouverte.

(Pour ceux qui l'ignorent, ma chambre donne sur le préau d'une école maternelle.)

lundi 1 septembre 2008

Une aventure de la Grumch et Daisy #8

Comme tous les soirs, la Grumch* déambule avec Daisy, son dingo mi-griffon mi-hot dog (avis aux Chinois).

Aujourd'hui, le fou du volant.
Daisy assise et apeurée à l'arrière de la Renault 5, la Grumch tourne les clés ; l'antiquité (les tests au carbone 14 n'ont rien donné) crache ses gaz éruptifs en tonnant et toussant, puis démarre.
Les bourlingueuses s'engagent en direction de Pont-l'Abbé, et pour ce faire, empruntent une des deux voies à circulation alternée pour sortir de Pleug' ; la Grumch a la priorité et le vent dans le dos : tout va bien.
A mi-chemin dans la voie rétrécie se détache en face un véhicule dépassant allégrement la vitesse autorisée en ville, et qui s'engage aussi, comme si de rien n'était, dans la voie à circulation alternée ! Le sang de la Grumch ne fait qu'un tour et demi : elle braque le volant et se gare autant que faire se peut sur une place de stationnement, sur le bas-côté de la route.
L'énergumène, un d'jeun's à lunettes de soleil, fonce sans un signe et fracasse un rétroviseur !
Folle de rage, la Grumch, par-dessus les plaintes de Daisy, rouspète :
« Chenapan ! Torr-penn ! En**lé ! »
Et c'est pourquoi, depuis, elle rumine dans le vide.

* prête sa voix à Françoise Laborde
** cu
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Merci !
Yohann ©®™☺☼♥♫≈(2003-2009)